Le caractere raisonnable


Exposé Écrit pour un Séminaire / Cours, 2003

32 Pages, Note: 15/20


Extrait


Contents

Introduction

I. Originalité et tradition du concept du raisonnable
A. Le raisonnable dans l’histoire de la culture occidentale
1. Les racines philosophiques du raisonnable
a. L’extraction et l’affinement du raisonnable par les philosophes
i. Les significations du mot « raison »
ii. La philosophie pratique et le raisonnable
b. Le traitement et la préparation du raisonnable à l’emploi juridique
i. Les influences philosophiques sur le monde juridique
ii. Le raisonnable et le rationnel
2. Les traces historiques dans les systèmes juridiques européens
a. Le raisonnable dans la common law
b. Apparences sporadiques du raisonnable dans les systèmes continentaux
i. Le droit français
ii. Le droit allemand
B. Evolution et consolidation du concept dans les Principes

II. Manifestations du concept dans les Principes
A. Principales manifestations du raisonnable
1. Les parties raisonnables
a. La personne raisonnable
i. Définitions, 1:301 al. 5
ii. Règles générales d’interprétation, 5:101 al. 3
b. La conviction raisonnable
i. Intention, 2 :102
ii. Substitution de représentant, 3 :206
iii. Autres manifestations du critère
c. La prévisibilité raisonnable
i. Notification, 1 :303 al. 4
ii. Changement de circonstances, 6 :111 al. 2 lit. b
iii. Exonération résultant d'un empêchement, 8:108 al. 1
iv. Autres manifestations du critère
d. L’expectative raisonnable
i. Exonération résultant d'un empêchement, 8:108 al. 1
ii. Autre manifestation du critère
e. Le comportement raisonnable
i. Conditions générales, 2 :104
ii. Réduction du préjudice, 9 :505 al. 1
iii. Contrat de remplacement, 9:506
iv. Dettes de somme d’argent, 9 :101 al. 2 lit. b
v. Notification, 1 :303 al. 4
vi. Contrainte, 4 :108 lit. b
vii. Autre manifestation du critère
2. Les périodes raisonnables
a. Délai
i. Délai d’acceptation, 2 :206 al. 2, al. 3, 2 :208 al. 3c
ii. Délais pour l’annulation, 4 :113
iii. Changement de circonstances, 6 :111 al. 3
iv. Date d'exécution, 7:102 lit. c
v. Notification de la résolution, 9 :303 al. 2
vi. Autres manifestations du critère
b. Durée
i. Contrat à durée indéterminée, 6 :109
ii. Autres manifestations du critère
3. Les montants raisonnables
a. Prix
i. Détermination du prix, 6:104
ii. Détermination unilatérale par une partie, 6 :105
iii. Détermination par un tiers, 6 :106 al. 2
c. Somme, coût, dépenses
i. Somme : Recouvrement pour une prestation insusceptible de restitution, 9:309
ii. Coût : Refus de recevoir un bien, 7 :110 al. 3
iii. Dépenses : Obligations autres que de somme d'argent, 9 :102 al. 2 lit. b
iv. Autres manifestations du critère
4. Les modifications/adaptations contractuelles raisonnables
a. Adaptation, 4 :105 al. 3
b. Annulation partielle, 4:116
c. Opération de remplacement
i. Dettes de somme d’argent, 9 :101 al. 2 lit. a
ii. Contrat de remplacement, 9:506
5. Application raisonnable de sources de droit
i. Usages et pratiques, 1 :105
ii. Application (des Principes) aux questions de consentement, 1:104
B. Appréciation

Bibliographie

Introduction

L’article 1 :302 des Principes du droit européen du contrat[1] [2] dispose :

« Caractère raisonnable
Doit être tenu pour raisonnable aux termes des présents Principes ce que des personnes de bonne foi placées dans la même situation que les parties regarderaient comme tel.

On a égard en particulier à la nature et au but du contrat, aux circonstances de l'espèce et aux usages et pratiques des professions ou branches d'activité concernées. »

Le raisonnable a déjà fait l’objet de quelques études juridiques[3], mais il n’a été abordé sous la perspective proposée par les Principes qu’une fois[4].

Les Principes du droit européen du contrat ont vocation à servir de base légale pour les contrats privés intra-communautaires. Les parties peuvent incorporer les PDEC à leur contrat pour qu’il soit régi par eux.

Les Principes pourraient constituer une solution efficace aux problèmes que posent les différences entre les droits nationaux. Ils tirent cependant l’attention sur un autre obstacle auquel se heurtent les relations commerciales à cause de la diversité culturelle de l’Union européenne. Celle-ci rassemble une vaste multitude de langues différentes ; presque chaque pays dispose de son propre idiome. Déjà dans la langue courante, il n’est jamais possible de traduire en conservant la signification exacte des mots. Ne serait-il pas d’autant plus difficile de trouver une traduction qui reflète au moins d’une façon approximative le contenu d’un terme de langage juridique ? Les PDEC ont été rédigés, dans leur version originale, en anglais et en français. Des traductions en d’autres langues européennes ont suivies. La version allemande est le fruit du travail de deux membres allemands de la Commission pour un droit européen du contrat qui est l’auteur des Principes, MM. Reinhard Zimmerman et Christian von Bar. La précision maximale de la traduction est ainsi garantie. Mais des difficultés et des divergences subsistent, et le sujet de notre étude, le caractère raisonnable, l’atteste.

D’abord, la traduction entre les deux langues de départ, l’anglais et le français, ne pose pas de problèmes, puisque l’expression « raisonnable » se traduit en anglais par « reasonable » et sa forme négative « déraisonnable » par « unreasonable ».

Quant aux autres langues européennes, cette opération devient un peu plus difficile. En italien, le mot se traduit aussi bien par « ragionevole » que par « razionale ». En allemand, le mot « vernünftig » serait la traduction littéraire. Mais hélas, le langage juridique allemand ne connaît guère ce terme. Il préfère de faire usage de notions comme « angemessen », signifiant approprié, et « verhältnismäßig », signifiant proportionnel. Celle-ci prévaut en droit public où elle régit le comportement de l’administration envers l’administré, celle-là est employé par la doctrine et les dispositions civilistes[5].

La version allemande des Principes a cependant optée pour l’utilisation de deux notions, celles de « Angemessenheit » et de « Vernünftigkeit »[6]. En relation avec une personne, on fait exclusivement usage de l’adjective « vernünftig »[7], de même quand il s’agit de traduire l’adverbe « raisonnablement », qui devient « vernünftigerweise »[8]. Les termes « manière raisonnable », « délai raisonnable » ou « prix raisonnable » apparaissent respectivement comme « angemessene Weise »[9], « angemessene Frist »[10] ou « angemessener Preis »[11].

Avant de se lancer dans une étude détaillée des principales manifestations du raisonnable dans les Principes (II), il convient d’aborder les origines du concept dans la culture européenne (I).

I. Originalité et tradition du concept du raisonnable

Trouvant son expression consolidée dans les Principes (B), le raisonnable a connu une longue évolution à travers des courants différents de la culture occidentale (A).

A. Le raisonnable dans l’histoire de la culture occidentale

Avant de devenir un outil juridique (2), le raisonnable a fait l’objet d’études philosophiques (1).

1. Les racines philosophiques du raisonnable

a. L’extraction et l’affinement du raisonnable par les philosophes
i. Les significations du mot « raison »

Est raisonnable celui qui possède la raison[12]. La raison apparaît en différents sens. L’origine est latine. Le mot ratio signifiait calcul, rapport et, plus tard, logique.

Dans la philosophie dans son état actuel elle apparaît sous quatre formes.

Premièrement, comme la faculté de raisonner discursivement, c’est-à-dire de chercher une solution au fil d’une inquisition et d’une comparaison analytique des données.

Elle s’oppose à l’intellect, qui est la faculté de comprendre intuitivement.

Deuxièmement, elle est la « faculté de ‘bien juger’, c’est-à-dire de discerner le bien et le mal, le vrai et le faux […] par un sentiment intérieur, spontané et immédiat »[13].

Troisièmement, elle est la connaissance que l’homme peut atteindre naturellement. Elle est opposée à la foi, qui est la connaissance révelée.

Quatrièmement, elle est la connaissance de certaines vérités éternelles qui n’est pas acquise, mais qui est a priori inhérent à l’Homme, thème favori de Kant.

Cinquièmement, elle est la faculté de connaître l’absolu, l’essentiel et de le distinguer des apparences et du superficiel.

Sixièmement, elle désigne la cause ou le motif pour un effet, une décision ou un comportement.

Tous ces sens du mot raison ont un dénominateur un commun. Elle est la faculté propre à l’Homme qui le distingue des animaux.[14]

ii. La philosophie pratique et le raisonnable

Est raisonnable selon une définition moins abstraite celui dont les actions sont guidées par une juste mesure, celui qui renonce à toute action inappropriée ou disproportionnée par rapport au but poursuivi, celui qui laisse prévaloir la réflexion sur ses pulsions.

La notion fait alors appel au sens commun, aux valeurs généralement acceptées, à la modération, à la mesure normale.[15]

Cette vision du raisonnable est au fond de la conception de M. Perelman. Il institue un Auditoire universel. C’est dans ce forum fictif que s’apprécie ce qui doit être regardé comme raisonnable à un moment donné dans une société spécifique. Il est composé de ces gens que le sens commun appellerait les «hommes raisonnables et informés ». Le fait qu’y participe virtuellement tout être raisonnable lui confère une objectivité et validité universelle.[16]

b. Le traitement et la préparation du raisonnable à l’emploi juridique
i. Les influences philosophiques sur le monde juridique

Le raisonnable est une notion connue aussi bien par les philosophes que par les juristes.

Les racines philosophiques qui ont le plus influencées la pensée juridique sont la philosophie pratique d’Aristote et la philosophie analytique du langage de Wittgenstein. Pour la première, il s’agit de savoir comment il faut faire pour agir juste, pour la seconde, il s’agit de regarder l’usage effectif des mots afin d’en cerner le sens.[17]

Pour M. Perelman, la raison est « à la base de l’affirmation d’un droit naturel, éternel et immuable ». Ce droit naturel, fondé sur la raison, est « opposé aux lois positives, expression de la volonté arbitraire de l’autorité législative ».[18]

Ainsi le raisonnable devient-il une limite ultime au pouvoir discrétionnaire de toute autorité, les actions déraisonnables de celle-ci étant qualifiées d’abus, d’excès, de détournement de pouvoir, etc.[19].

ii. Le raisonnable et le rationnel

-Deux manifestations distinctes de la raison

Le raisonnable fait appel à la raison humaine, tout comme sa notion sœur, le rationnel.

Si les deux présentent des caractères communs, d’autant plus faut-il bien les distinguer.

Tandis que le rationnel utilise des méthodes exactes, formelles, objectives, relevant de la logique pure, le raisonnable fait appel à une démarche moins stricte, prenant en compte les circonstances de chaque situation, s’appuyant sur le bon sens et des considérations d’opportunité et puisant dans l’expérience[20].

Pour citer M. Khairallah, « le rationalisme est système, méthode, logique, déduction, rigueur, certitude ; le raisonnable est induction, opportunité, modération, mesure, souplesse, pragmatisme, empirisme, expérience »[21].

Le rationnel est abstrait, le raisonnable ne s’apprécie que in concreto.[22]

-Le raisonnable et le rationnel dans la méthode juridique

Ainsi, déjà l’approche du non juriste au droit est souvent fondée sur l’idée du raisonnable. Lors d’un accident de route ou lors des pourparlers en vue d’une vente, une des parties va souvent invoquer le comportement raisonnable de l’autre afin de l'influer en sa faveur. Le raisonnable s’éloigne ainsi dans le contexte juridique de la raison abstraite. Il trouve son application dans des situations bien concrètes et tient compte d’un certain subjectivisme.[23]

Celui-ci est tout à fait étranger au rationnel, qui n’atteint ses conclusions qu’à travers des opérations purement mathématiques. Il utilise la logique formelle, c’est-à-dire des déductions.[24]

Cette méthode déductive qu’est le syllogisme juridique consiste à mettre la norme juridique comme majeure et la situation de fait comme mineure. La comparaison des deux mènera à la conclusion.

Ainsi, le propriétaire d’un téléphone pourra dire :

« Le propriétaire peut exclure tout autre personne de l’usage de sa propriété.

Je suis propriétaire de ce téléphone.

Donc je peux refuser à quiconque d’utiliser ce téléphone. »

Cette démarche est logiquement correcte, mais appliquée à des situations réelles, elle risque d’aboutir à des solutions peu satisfaisantes[25].

Supposons qu’une personne blessée a besoin d’aide médicale rapide. Le refus du propriétaire de permettre aux proches du blessé d’utiliser le téléphone afin d’appeler les médecins peut entraîner la mort d’une autre personne.

On s’aperçoit bien que le principe de la pure rationalité a, en droit, besoin de quelques tempéraments qui tiennent compte du fait que le droit a vocation à régir la vie humaine, imprégnée de subjectivité et de relativité.

Il faut relativiser le syllogisme juridique.[26]

On a donc recours au raisonnable, une « version souple » du rationnel, évitant à la fois la rigueur mécanique du raisonnement purement déductif d’un côté et mettant obstacle à l’insécurité juridique de l’arbitraire d’autre côté.[27] Selon M. Perelman, la logique juridique se caractérise même par son recours au raisonnable au lieu du formalisme pur[28].

L’exemple sus-cité illustre cette fonction corrective que joue le raisonnable en droit. Le droit absolu de propriété est modifié par la théorie de l’abus de droit, manifestation du raisonnable[29].

Le concept du raisonnable est l’expression par excellence du principe selon lequel « les lois sont faites pour les hommes, et non les hommes pour les lois »[30].

2. Les traces historiques dans les systèmes juridiques européens

Nous venons de démontrer que le raisonnable repose sur une longue tradition philosophique. Sa réception juridique a subi des développements très variés.

Le système prévalant au Royaume-Uni et en Irlande est la common law. Elle est une case law, par opposition à la code law, propre aux autres traditions juridiques européennes.

L’organisation du premier est topique, celle du second est structurée.

L’une part des situations concrètes pour en dégager des principes modèles, les precedents.

L’autre part des principes préconçus et abstraits et essaie de les appliquer aux situations concrètes.

La common law n’exige pas un texte écrit pour qu’une norme soit considérée comme une loi[31].

[...]


[1] Les notes en bas de page citent un mot-clé et la page de référence. La liste bibliographique à la fin lie les mots-clés aux ouvrages ou articles.

[2] PDEC par la suite

[3] Citons à titre exemplaire : Aarnio, Corten, Papadiamantis, Perelman.

[4] V. Fages, p. 44

[5] V. pour les dispositions : les paragraphes 250, 281, 286, 323, 519, 528, 1360a du Code civil allemand; pour la doctrine : Palandt §138 n° 75s

[6] Kommission, p. 127

[7] Cf. l’article 1:301 al. 5 des PDEC ; Kommission, p. 124

[8] Cf. l’article 2:102 des PDEC ; Kommission, p. 151

[9] Cf. l’article 9:506 des PDEC; Kommission, p. 546

[10] Cf. l’article 2 :206 al. 2 des PDEC; Kommission, p. 194

[11] Cf. l’article 6:105 des PDEC; Kommission, p. 371

[12] Lalande, p. 887

[13] supra, p. 879

[14] supra, pp. 877s.

[15] Lalande, p. 887

[16] sur l’Auditoire universel, v. Papadiamantis, p. 196s.

[17] Papadiamantis, p. 7

[18] Perelman, p. 11

[19] Perelman, p. 12

[20] Khairallah, n° 25, pp. 456s

[21] supra, n° 25 in fine, p. 457

[22] Papadiamantis, p. 6s

[23] cf. J. Lachelier, in : Lalande, p. 887

[24] Papadiamantis, p. 5

[25] cf. Cornu, n° 194, p. 84

[26] cf. Khairallah, n° 24, p. 456

[27] cf. Papadiamantis, p. 6

[28] Perelman, p. 111

[29] Khairallah, n° 25 in fine, p. 457

[30] Portalis, p. 466

[31] cf. CEDH, Arrêt „Sunday Times“, 1979

Fin de l'extrait de 32 pages

Résumé des informations

Titre
Le caractere raisonnable
Université
LMU Munich  (Institut für Internationales Recht und Rechtsvergleichung)
Cours
Deutsch-französisches Gemeinschaftsseminar zu den "Principes du droit européen du contrat/Grundregeln des europäischen Vertragsrechts"
Note
15/20
Auteur
Année
2003
Pages
32
N° de catalogue
V32791
ISBN (ebook)
9783638334174
Taille d'un fichier
723 KB
Langue
français
Annotations
Die Arbeit befasst sich mit dem Begriff "raisonnable/angemessen, vernünftig". Nach einer Untersuchung seiner historischen, philosophischen und rechtsvergleichenden Aspekte werden seine konkreten Erscheinungsformen in den sog. "principes Lando" genauer unter die Lupe genommen und im Lichte der Vereinheitlichung des europäischen Privatrechts betrachtet.
Mots clés
Deutsch-französisches, Gemeinschaftsseminar, Principes, Vertragsrechts
Citation du texte
Martin Hlawon (Auteur), 2003, Le caractere raisonnable, Munich, GRIN Verlag, https://www.grin.com/document/32791

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