"Voyage au bout de la nuit" de Louis-Ferdinand Céline: étude de l’anticolonialisme et de l’exotisme


Dossier / Travail, 2005

14 Pages, Note: 1,0


Extrait


Table des matières

1. Introduction

2. L’Anticolonialisme
2.1 Qu’est-ce que l’anticolonialisme ?
2.2 L’anticolonialisme dans Voyage au bout de la nuit

3. L’Exotisme
3.1 Qu’est-ce que l’exotisme ?
3.2 L’exotisme dans Voyage au bout de la nuit

4. La Signification pour l’ensemble du roman
4.1 L’expression du délire
4.2 L’expression de l’absurdité

5. Conclusion

6. Bibliographie

1. Introduction

Bien que l’œuvre littéraire Voyage au bout de la nuit de Louis-Ferdinand Céline soit surtout connue pour sa rupture du langage et style classiques dominants dans la littérature française jusqu’à la parution de ce livre en 1932, ce roman contient en outre avec l’anticolonialisme exprimé une forte critique du discours colonial du début du 20e siècle et une expression d’un exotisme non quotidien, marqué par le style propre à Céline.

Le but de ce travail est l’étude approfondie de l’épisode africain dans Voyage au bout de la nuit sous les points de vue de l’anticolonialisme et de l’exotisme. Dans une première partie, nous examinerons les caractéristiques générales de l’anticolonialisme pour l’appliquer ensuite concrètement au roman de Céline. De plus, nous verrons comment l’exotisme est en général exprimé dans la littérature française et puis, l’exotisme dans l’ouvrage de Céline sera l’objet d’un examen détaillé. Finalement, nous étudierons la signification de l’anticolonialisme et de l’exotisme pour l’ensemble du livre en faisant une connexion avec l’expression du délire et de l’absurdité dans Voyage au bout de la nuit.

2. L’Anticolonialisme

2.1 Qu’est-ce que l’anticolonialisme ?

Pour examiner l’anticolonialisme dans Voyage au bout de la nuit, il faut d’abord connaître les caractéristiques du colonialisme dans la littérature pour démontrer ensuite les différences de ces deux points de vue. La littérature coloniale a eu son apogée au début du 20esiècle avec la plus grande expansion des Empires européens, notamment de la France. A cette époque, les auteurs français créent un nouveau mythe en glorifiant l’Empire français qui « renaît de ses cendres »1 après la défaite dans la Guerre Prussienne de 1870/71. Une France qui a des ambitions de devenir une force mondiale en s’étendant sur tout le globe, soutenue par ses colonies qui se trouvent surtout en Afrique Noire et en Asie. Ainsi, la littérature coloniale est définie par János Riesz comme celle qui « depuis la fin du 19e siècle, fait propagande pour l’idée coloniale »2. Les colonies sont décrites comme des territoires incultes et maudites et l’écrivain colonial essaie de se mettre en opposition de l’écrivain exotique du 19e siècle qui voyait l’Afrique d’un côté paradisiaque et mythique, habitée par des sauvages naïfs mais innocents et heureux3 qui représentent le mythe du « bon sauvage »4. Les adeptes du colonialisme voient l’Empire français comme sauveur de cette terre nue en luttant contre l’anarchie, la pauvreté et le cannibalisme parmi les peuples primitifs. De plus, les colonies sont présentées comme des lieux de remède pour se distancier et se soulager des problèmes de la société française5. Or, l’exploitation économique et politique est mise en arrière-plan et la mission humanitaire est déclarée le grand objectif de la colonisation pour sortir « les primitifs des ténèbres du paganisme »6.

Par contre, l’anticolonialisme a pour but de déconstruire et d’opposer ces mythes développés par les auteurs coloniaux7. La littérature anticolonial exprime la faillite du colonialisme et de son discours et montre les colonies comme sources de maladie et de décadence : « une immense réserve pullulante de bêtes et de maladies. » (Voyage au bout de la nuit, p. 146)8 et « Pour des prix très raisonnables, on pouvait s’envoyer une famille entière [d’indigènes] pendant une heure ou deux. » (V, p. 128) et non comme lieux de remède. De ce fait, l’anticolonialisme fonctionne comme révélateur des conditions réelles qui existent aux colonies et qui n’ont rien à voir avec les observations transmises par la littérature coloniale9. Ce contre-courant du colonialisme est une partie de la littérature française qui n’est pas encore très fortement étudiée. Cependant, nous nous apercevrons dans le suivant que l’ouvrage de Céline est un très bon exemple pour l’expression des idées anticoloniales.

2.2 L’anticolonialisme dans Voyage au bout de la nuit

L’objectif des écrits anticoloniaux de démythifier les buts et le discours du colonialisme est très bien transmis dans le roman de Céline. Avec sa déconstruction de l’image positive des colonisateurs, il a montré que le colonialisme est généralement un « colonialisme impotent »10 qui n’arrive pas à mettre en place un meilleur système dans les territoires coloniaux que celui qui existait là-bas avant la colonisation.

Le voyage en Afrique de Bardamu, le narrateur et en même temps le protagoniste du livre, est décrit dans Voyage au bout de la nuit comme une perte de communauté11 ce qui se voit dans le comportement des gens riches sur le bateau Amiral-Bragueton envers Bardamu. Celui-ci est dans les yeux des futurs colonisateurs un « infâme et répugnant saligaud » (V, p. 115) parce qu’il a payé le voyage lui-même. Le mythe d’une grande communauté fraternelle aux colonies est donc déjà détruit lors de la description du voyage en Afrique en montrant aussi le primitivisme et l’alcoolisme chez les colonisateurs : « leur vraie nature […] tout le monde se mit, sur le navire, à se libérer les instincts avec rage, l’alcool aidant » (V, p. 113). Toutes ces expériences sont décrites par le narrateur avec un sarcasme révélateur et accusant qui est une particularité du style de Céline :

à présent, par l’effet de cette concentration agacée d’alcooliques et de vagins impatients, je me trouvais doté, méconnaissable, d’un troublant prestige. (V, p. 117) Bardamu exprime sa critique féroce du système colonial français à travers la critique du Gouverneur français dans la colonie de Bambola-Bragamance au Congo en le décrivant comme un « tyran local » (V, p. 146) qui est détesté par les habitants de la colonie :

A travers chaque nouvelle épidémie de fièvre jaune, le Gouverneur survivait comme un charme, alors que tant parmi les gens qui désiraient l’enterrer crevaient […]. (V, p. 126) Plus tard, il compare deux systèmes de civilisation en opposant Grappa, lieutenant à un poste secondaire de la colonie, qui est pour lui le représentant d’une « civilisation […] plutôt à la romaine » (V, p.156) et qui essaie de faire le plus grand profit avec les colonies. Puis, le sergent Alcide symbolise une autre civilisation, une « combinaison commercialo-militaire en somme, beaucoup plus moderne, plus hypocrite, la nôtre. » (V, p. 156). La façon capitaliste comment Alcide exploite les indigènes – il donne à ses miliciens africains du tabac à la place de leur salaire – est ainsi condamnée. Cette exploitation est le produit de la colonisation française avec laquelle la liaison est faite par l’expression « la nôtre ». Mais Bardamu reconnaît plus tard qu’Alcide est un des exemples rares de bonté parmi tous les autres colonisateurs parce qu’il soutient sa nièce orpheline avec son argent gagné pour qu’elle puisse fréquenter une bonne école en France : « Il offrait à cette petite fille lointaine assez de tendresse pour refaire un monde entier et cela ne se voyait pas. » (V, p. 160). Alcide a en effet un objectif humain qui l’entraîne vers l’exploitation des indigènes. Néanmoins, il reste le seul exemple positif de ce système colonial.

De plus, Céline révèle les vraies circonstances de vie dans les colonies. D’abord, le narrateur décrit le danger des maladies : « La diarrhée. Peut-être aussi que c’est la fièvre ; j’ai les deux… Et même que j’en vois plus clair sur les cinq heures… » (V, p. 164) et des animaux sauvages : Bardamu « n’osais plus cependant remettre un pied sur le sol à cause des scorpions, et des serpents venimeux » (V, p. 132). Le climat insupportable est une « chaleur en délire […] » (V, p. 140) et ensuite, il révèle la situation alimentaire comme catastrophique :

Pour l’eau qu’il fallait boire […], de la boue c’était, pire, du fond de vase. […] et toujours de ces « papayes », mais j’avais tellement mal au ventre de tout ça et de tout ! J’aurais vomi la terre entière. (V, p. 173)

Pourtant, le comportement hostile des colonisateurs entre eux et envers les indigènes :

Tout le monde devenait […] de plus en plus vache. […] Ainsi, les rares énergies […] se consumaient en haines si mordantes, si insistantes que beaucoup de colons finissaient par en crever sur place, empoisonnés d’eux-mêmes, comme des scorpions. (V, p. 125/126) et l’exploitation radicale des indigènes sans conscience, voyons par exemple la scène de vente sur les pages 137 et 138 du livre, sont des expressions de l’énorme critique de la nature humaine. En conséquence, la découverte de Bardamu que la faiblesse corporelle de l’humain laisse échouer tout projet de colonisation12 n’est pas surprenant pour le lecteur : « ils burent pendant des années sans se plaindre. Tout est là. Voilà comment on perd ses colonies. » (V, p. 127).

Céline dresse avec son anticolonialisme dans l’épisode africain une forte critique des sociétés européennes, surtout celle de la France13 comme « commercialo-militaire » et « hypocrite » (V, p. 156). Toutefois, il ne donne pas une possibilité d’amélioration ou de sortie de cette situation. Cette négation de tout point de vue optimiste pour l’avenir de l’humanité est présente dans tout l’ensemble de l’ouvrage. Nous pouvons même parler d’un dédain de l’humain : « leur [les humains] pourriture envahit la surface dès que les émoustille la fièvre ignoble des Tropiques. » (V, p. 113).

En outre, Céline utilise le procédé du nihilisme pour faire le portrait d’une Europe, et particulièrement d’une France en décadence. Le nihilisme refuse toute croyance en un sens du monde. Il est alors l’affirmation de l’absurdité du monde14. De plus, la non-existence de Dieu est un point central dans la pensée du nihilisme qui s’oriente vers le défaitisme15 lequel est très présent dans Voyage au bout de la nuit avec un pessimisme permanent : « Faire confiance aux hommes c’est déjà se faire tuer un peu. » (V, p. 176). Ce pessimisme naît surtout du savoir de l’imperfection de l’homme16. Dans l’épisode africain, Céline détruit tout espoir que le pouvoir de la France pourrait être reconstruit et renouvelé en se développant comme force coloniale. Cependant, il décrit à travers le narrateur du livre l’armée des colonies comme instable et incapable de défendre la patrie française en donnant l’image d’une Afrique en décomposition17. Bien que cette image soit négative, Céline utilise toujours le moyen de la satire pour se moquer des gens qui prennent l’Empire français trop en sérieux :

il est bien difficile à un officier aussi mal disposé qu’il puisse être, de gifler un civil, publiquement, au moment où celui-ci crie […] « Vive la France ! » Cette hésitation me sauva. […] Il n’y a pas de vanité intelligente. (V, p. 122)

[...]


1 Omgba (1999), p. 125

2 Riesz cité dans Moura (1998), p. 110

3 cf. Omgba (1999), p. 127

4 Todorov (1989), p. 299

5 cf. Omgba (1999), p. 133

6 ibid., p. 135

7 ibid., p. 136

8 dans le suivant: Voyage au bout de la nuit = V

9 cf. Rasson (1988), p. 267

10 ibid., p. 268

11 ibid., p. 269

12 cf. Rasson (1988), p. 275

13 cf. ibid., p. 277

14 cf. Wikipedia 2005: ‘Nihilismus’

15 cf. Wikipedia 2005: ‘Nihilism’

16 cf. Rochet

17 cf. R., Frédérique

Fin de l'extrait de 14 pages

Résumé des informations

Titre
"Voyage au bout de la nuit" de Louis-Ferdinand Céline: étude de l’anticolonialisme et de l’exotisme
Université
Johannes Gutenberg University Mainz
Cours
PS: La Première Guerre mondiale dans la littérature française
Note
1,0
Auteur
Année
2005
Pages
14
N° de catalogue
V125933
ISBN (ebook)
9783640322312
ISBN (Livre)
9783656448419
Taille d'un fichier
431 KB
Langue
français
Mots clés
Voyage, Louis-Ferdinand, Céline, anticolonialisme, exotisme, premiere guerre mondiale, guerre, France, Frankreich, Exotismus, Antikolonialismus
Citation du texte
M.A. Kathleen Fritzsche (Auteur), 2005, "Voyage au bout de la nuit" de Louis-Ferdinand Céline: étude de l’anticolonialisme et de l’exotisme, Munich, GRIN Verlag, https://www.grin.com/document/125933

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