Dieu est-il encore Francais? - L’image de la France des journalistes et écrivains allemands dans leur littérature non-fictionnelle entre 1985 et 2002


Mémoire de Maîtrise, 2002

104 Pages, Note: 1,3


Extrait


TABLE DE MATIERE

1. INTRODUCTION

2. L’HISTOIRE DE FRANCE
2.1 la Résistance
2.2 l’épuration
2.3 le procès de Barbie
2.4 les émeutes de 1968 et 1986

3. LA GEOGRAPHIE DE LA FRANCE
3.1 la capitale Paris
3.2 la province
3.2.1 le Sud de la France
3.2.2 le pays d’oc
3.2.3 Nice
3.2.4 la Corse
3.2.5 Monaco
3.3 la francophonie

4. LA VIE PUBLIQUE
4.1 l’Etat français
4.2 la bureaucratie et les fonctionnaires
4.3 les Renseignements Généraux et les corbeaux
4.4 les Grandes Ecoles
4.5 les médias
4.6 la puissance nucléaire
4.7 la culture

5 LA VIE POLITIQUE
5.1 les présidents de la cinquième République
5.2 Jean-Marie Le Pen
5.3 les relations franco-allemandes
5.4 la France et l’Europe

6. LE PEUPLE FRANÇAI
6.1 les différents groupes
6.1.1 les Parisiens
6.1.2 les Français du Sud
6.1.3 la bourgeoisie
6.1.4 les intellectuels
6.1.5 l’élite
6.1.6 les immigrés
6.2 la mentalité française
6.2.1 l’importance de la langue et de la littérature
6.2.2 l’importance de la cuisine
6.2.3 patriotisme et racisme

7. CONLUSION

8. BIBLIOGRAPHIE

1. INTRODUCTION

Pourquoi des écrivains et journalistes allemands écrivent-ils des livres sur la France ? « Parce que, avec chaque interprétation de la France, l’espoir ou au moins l’envie en nous s’agrandit que ce pays parte avec nous en voyage pour l’avenir » (Sieburg, p. 57). Depuis toujours, les Allemands ont eu le regard tourné vers la France et ont essayé de comprendre ce pays voisin. Mais peu de livres ont eu un succès et une influence comparable à celui de l’écrivain et journaliste Friedrich Sieburg. François Bondy appelle le livre un « best-seller » et « le livre le plus connu et plus influent » qu’un étranger ait jamais écrit sur la France (Sieburg, p. 11). Dans son livre, Sieburg présente la France comme un pays en retard dans lequel il préfère vivre. Il a brossé un tableau de la France dans lequel des milliers de lecteurs allemands ont cru reconnaître leur pays voisin. Sieburg a, en quelque sorte, « formulé » le regard de ses compatriotes. C’est à travers son ouvrage « dieu est-il français ? » que les Allemands ont perçu la France.

En général, Sieburg se montre assez satisfait de son livre. Bien qu’il s’en soit distancé avec les années (Sieburg, p. 19), il affirme que ses traits fondamentaux n’ont pas été réfutés, ni par des événements ni par des auteurs qui en ont parlé (Sieburg, p. 24). Sieburg appelle son livre, « malgré ses nombreux exagérations juvéniles », réaliste.

Ainsi Sieburg n’a pas considéré deux points très importants : d’abord un livre réaliste devrait être entièrement objectif ce qui n’est jamais possible. Il y a toujours des personnes qui jugent la même chose de manière différente. En plus, un pays change toujours ; par conséquent un livre, même s’il décrit de manière relativement objective ce pays, peut seulement être valable pour un certain temps. La meilleure preuve pour mon affirmation est le fait que depuis des siècles des images de la France ont changé.[1] Quand on examine une description de la France, il faut, par conséquent, se rendre compte du temps qu’elle est écrite.

J’ai choisi le temps entre 1985 et 2002, parce que, pendant cette période, plusieurs événements importants se sont passés : dans la Cinquième République, la France a en 1981 pour la première fois, une expérience avec un gouvernement socialiste et ensuite en 1986 avec la cohabitation. En 1990, l’Allemagne de l’Ouest se réunifie avec l’Allemagne de l’Est, ce qui est un grand défi pour les relations franco-allemandes qui est relevé est maîtrisé du chancelier allemand Helmut Kohl et le président français François Mitterrand. Pendant que les mouvements sociaux deviennent en Allemagne de plus en plus puissants ce qui mène à la formation du parti des verts entrant en mars 1983 la première fois au Bundestag, les protestations sociaux en France diminuent. En plus, le procès de l’unification européenne fait de grands progrès, par exemple, avec le traité de Maastricht en 1992 ou l’adhésion de différents pays dans l’union européenne. J’ai voulu examiner une période d’environ quinze années dont la fin devait être la date la plus actuelle. Ainsi la période mentionnée s’est montrée très propice : six livres de la France ont été publiés à la fin des années quatre-vingt, et six autres à partir de l’année 2000.

Il est ainsi intéressant de voir si un demi-siècle après le livre de Sieburg les auteurs allemands approuvent encore le point de vue de Sieburg disant qu’il est « assez faible de préférer séjourner dans un paradis démodé et sans ordre [la France] que dans un monde exemplaire étant nickel et triste [l’Allemagne] » (Sieburg, p. 54). Pourtant ce mémoire n’a pas le but de comparer l’image de la France d’aujourd’hui à celle proposée par Sieburg ou d’autres auteurs du passé. Je vais seulement rappeler quelquefois la position de Sieburg ; mon intention principale est d’examiner l’image actuelle de la France de quelques écrivains et journalistes allemands.[2] Ainsi je résume, dans chaque chapitre, des positions différentes pour dégager les grandes tendances de l’image actuelle de la France que je sommerai dans la conclusion. En d’autres mots, mon but est d’essayer de dégager une image d’ensemble de la France contemporaine. Deuxièmement, je veux différencier entre les différents livres, étudier, par exemple, lequel est le plus critique ou lequel est le plus positif.

Je m’occuperai aussi du style d’écriture parce que, pour beaucoup d’écrivains, les différents modes d’approchement entrent dans le point de vue sur la France qui peut ainsi devenir plutôt subjectif ou objectif et montrer si l’auteur respecte les différences observées ou s’il les désapprouve.

Puisque les livres choisis sont, pour la plupart, publiés par de grandes maisons d’édition comme le Wilhelm Heine ou le Piper Verlag, il faut considérer que beaucoup de lecteurs s’occupent de l’image présentée par des auteurs.[3] Les livres de Wickert, par exemple, ont été vendus à plus d’un million d’exemplaires.[4] Il est important d’examiner la fonction de ses livres et de connaître les intentions des auteurs qui les écrivent. Est-ce qu’ils affirment comme Sieburg que c’est pour le bonheur des Allemands et des Français qu’ils écrivent (Sieburg, p. 57), ou est-ce que leurs intentions sont plus modestes ? J’ai cherché d’abord la réponse dans les avant-propos et ensuite des commentaires dans les chapitres qui font supposer une certaine intention. En plus, je suis entrée en contact avec huit des neuf auteurs, et ils m’ont répondu à cette question. Toutes mes recherches ont donné le même résultat : à part les auteurs des modes d’emploi, ils ne mentionnent pas leur but ou soulignent qu’ils ne veulent pas donner une leçon à leurs lecteurs, mais raconter ce qu’ils savent.[5] Seuls Götze et Baier avouent que leur intérêt personnel était aussi déterminant, ce qu’on peut supposer pour tous les auteurs.[6] Harpprecht fait comprendre, dans son chapitre « dieu est-il encore français ? », (Harpprecht b, p. 22-34) qu’il veut parler des changements sur la France, ce qui est sûrement valable aussi pour les autres auteurs : ils écrivent de la France parce qu’il croient avoir trouvé de nouveaux résultats. Par conséquent, on peut résumer que les auteurs allemands entre 1985 et 2002 écrivent sur la France parce qu’ils veulent raconter de leurs expériences en France et des changements.

Il faut aussi se rendre compte que cette quantité de livres vendus n’a pas seulement une influence sur les Allemands, mais aussi sur les Français et ainsi les relations franco-allemandes. François Bondy affirme que le livre de Sieburg a impressionné les Français encore plus fortement que les Allemands, et qu’il était ressenti comme une invitation à réfléchir de son identité (Sieburg, p. 13). A mon avis, non seulement les hommes politiques marquent la réussite ou l’échec d’une amitié, mais aussi des gens qui peuvent exercer une influence sur l’image que l’on se fait de l’autre pays. Un peuple est très sensible quand il se voit confronté à des clichés.[7] A part le livre de Sieburg, quatre sur mes quatorze livres retenus ont été traduits en français, et des éditeurs ont presque toujours supprimé des parties ou certains chapitres jugés trop critiques[8]. C’est pourquoi les auteurs ont une grande responsabilité. Par conséquent, la partie principale de ce mémoire se concentrera en particulier sur la présentation des commentaires personnels des auteurs. Ainsi mon mémoire est intéressant pour tous ceux qui s’intéressent à la France et à l’Allemagne, mais en particulier pour des journalistes, écrivains, hommes politiques ou pour des organisations qui s’occupent des relations franco-allemandes parce qu’ils influent aussi des images de l’autre pays.

Je veux présenter maintenant les auteurs et après les différentes structures des livres choisis dans le but de faire la démonstration que les auteurs en total présentent une image très variée de la France. Quelques auteurs se spécialisent sur un seul aspect comme Birgit Vanderbeke sur la France du Sud ou Karl Heinz Götze (Immer Paris, 2002) sur Paris. Mais en majorité, les auteurs traitent plusieurs aspects de la vie politique et sociale de la France. Dans les différents chapitres de ma partie principale, on trouve cette image diverse : je présenterai le traitement de l’histoire de France, la vie publique, la vie politique et la mentalité du peuple français.

Si on compare les proportions des différents chapitres, les relations ne correspondent pas toujours à celles de la quantité totale des textes examinés. Les parties consacrées à la vie politique et le peuple français occupent dans mon analyse une place égale tandis que les auteurs présentent beaucoup plus de texte sur la vie politique que sur le peuple français. Pour la vie politique, cette longueur suffit pour dégager les traits fondamentaux. Mais quant à la description du peuple français il y a une grande diversité d’opinion, que je ne veux pas laisser de côté parce que cette partie peut se montrer la plus révélatrice pour les jugements des auteurs. La plupart des clichés se trouent dans les opinions exprimées sur des Français. C’est peut-être pourquoi les auteurs osent plutôt rarement parler de la mentalité française, mais il y aussi plusieurs sujets dont les auteurs ne parlent pratiquement jamais : l’économie, le sport, le paysage, l’armée, la musique ou la danse. On y découvre le reflet des différents métiers des auteurs : en gros, il y a deux grands groupes ; celui des écrivains qui sont souvent spécialistes des intellectuels français - en particulier des écrivains - et celui des journalistes qui s’occupent professionnellement de la vie politique à Paris. Mais la limite entre la vie journalistique et d’écrivain reste flou ; souvent les auteurs sont les deux à fois, et il est difficile de les classer nettement dans un des deux groupes.

Les auteurs qu’on peut plutôt classer sous la rubrique d’écrivains sont Birigt Vanderbeke qui écrit seulement quelquefois des critiques pour des journaux et Karl Heinz Götze, professeur à Besançon d’abord et Aix-en-Provence ensuite. Birgit Vanderbeke, née en 1956, a écrit neuf récits et deux ouvrages pratiques sur la France : Gebrauchsanweisung für Frankreich (2002) et Ich sehe was, was du nicht siehst (1999). Selon ses propres indications, Karl Heinz Götze, né en 1947, a écrit quatre livres universitaires, quatre livres spécialisés sur la France et édité huit autres.[9] Klaus Harpprecht était, pendant une dizaine d’années, journaliste pour plusieurs médias comme le ZDF et le WDR, mais aujourd’hui on peut le classer dans le groupe des auteurs puisqu’il vit actuellement comme auteur indépendant dans le Midi de la France. Harpprecht, né en 1927, est l’auteur d’une grande biographie de Thomas Mann (1995) ; au total, il a écrit vingt-deux livres. A part de Die Leute von Port Madelaine, ce sont « des livres spécialisés avec une certaine exigence littéraire ».[10]

Ulrich Wickert et Peter Scholl-Latour se trouvent entre les deux groupes ; car ils sont de grands journalistes encore en activité, et ils écrivent en même temps des livres. Scholl-Latour, né en 1924, était de 1963 en 1969 chef du studio de l’ARD à Paris, et de 1975 en 1983, chef du studio du ZDF à Paris. Wickert, né en 1942, était de 1978 en 1983, correspondant dans le studio de l’ARD à Paris, et de 1984 en 1991 son directeur. Wickert a écrit douze documents et Peter Scholl-Latour vingt-trois essais seul et trois en collaboration avec d’autres auteurs. Les livres de Wickert et Scholl-Latour sont des essais qui se consacrent à la vie politique pour informer la société des problèmes sociaux. Jürg Altwegg n’est pas aussi connu que Wickert et Scholl-Latour, mais lui aussi est auteur des livres et journaliste en même temps. Né en 1951, il est l’auteur de neuf documents. Altwegg est correspondant de culture de France pour le Züricher Tagesanzeiger et le Baseler Zeitung est écrit depuis 1984 pour la FAZ.

Klaus Peter Schmid et Heiko Engelkes font principalement partie du groupe des journalistes. Engelkes, né en 1933, était, comme Wickert et Scholl-Latour, correspondant à Paris, à savoir chef du studio de l’ARD à Paris de 1972 en 1983 et de 1992 en 1998. Avec son livre Bonjour Paris. Mein Leben mit Frankreich Engelkes vient de publier son deuxième ouvrage spécialisé alors que Schmid a publié avec le livre Gebrauchsanweisung für Frankreich (1988) sa seule monographie, sinon il a collaboré à des ouvrages collectifs. Schmid, né en 1942, a vécu pendant quatorze années à Paris comme étudiant et journaliste dont huit ans dans le bureau de DIE ZEIT à Paris et trois ans comme le chef du bureau du SPIEGEL à Paris.

Peu importe s’il s’agit de journalistes ou d’écrivains, les auteurs ont tous en commun une longue expérience publiciste et ont vécu au moins dix ans en France.

Quant aux livres, on peut les classer en deux grands groupes : les livres qui dressent un bilan général de la France et qui expliquent la vie en France en plusieurs domaines et le groupe des livres plus ciblés traitant rarement plus que quatre ou cinq aspects de la vie en France.

Neuf livres font partie au premier groupe, ce sont presque deux tiers des livres choisis.[11] Ces livres se distinguent par une grande offre de sujets qui décrivent et expliquent plusieurs domaines de la France comme la géographie, l’histoire, l’enseignement ou la vie politique. Dans ce groupe on peut différencier d’abord les très gros livres avec au moins trois cent soixante pages, à savoir les livres de Scholl-Latour et Engelkes et les deux livres Und Gott schuf Paris et Frankreich. Die wunderbare Illusion. de Wickert.[12] Mais on peut aussi classer les livres par sujets ; les livres de Harpprecht (Mein Frankreich. Eine schwierige Liebe), Engelkes et Scholl-Latour, par exemple, contiennent, au moins pour moitié, des sujets politiques. J’ai aussi intégré le livre Und Gott schuf Paris dans la catégorie des livres non-spécialisés, parce que ce livre offre seulement en moitié des sujets sur Paris, et même ceux-là racontent plutôt des personnes que de la ville.

En ce qui concerne le groupe des livres spécialisés sur peu de sujets, on peut distinguer plusieurs sortes : d’abord les deux « modes d’emploi » de Klaus Peter Schmid et Birgit Vanderbeke qui ont explicitement l’intention de préparer le lecteur allemand à un voyage en France voir même à l’achat d’une maison (Vanderbeke). Les autres livres sont très individuels. Dans Immer Paris, Karl Heinz Götze décrit des promenades à Paris, et dans Französische Affären, il se consacre principalement à trois sujets. Die Leute von Port Madeleine. Dorfgeschichten der Provence de Klaus Harpprecht se distingue le plus des autres livres, parce qu’il n’offre que des histoires sur des habitants d’un village français près de la Mer Méditerranée. Selon Harpprecht, les histoires sont « des récits et à cause de cela tous fictifs avec un petit regard de côté sur la réalité ».[13] Harpprecht présente ces Français sans se servir des clichés. Mais malheureusement beaucoup d’Allemands croient encore aujourd’hui au cliché que le Français typique est charmant, adore sa cuisine et dit à chaque occasion « oh là là ». Presque tous les auteurs sont d’accord qu’ils ne veulent pas transmettre ou créer des clichés, parce qu’ils les trouvent nuisibles.[14] Ma partie principale et la conclusion montreront s’ils ont réussi à réaliser ce projet.

2. L’HISTOIRE DE FRANCE

L’histoire d’un pays constitue son passé et influence seulement partiellement le présent. Pourtant le présent n’existe pas sans le passé qui est sa base fondamentale, c’est pourquoi je traite ce sujet dans le contexte de l’image actuelle de la France. Bien que quelques auteurs constatent que l’histoire est très importante pour les Français[15], ils en parlent seulement en peu de mots. Les événements historiques avant la Seconde Guerre Mondiale ne sont pratiquement jamais mentionnés, ce qui peut apparaître étonnant. D’abord, c’est un signe que les auteurs veulent se concentrer sur l’actualité. En plus, ce sont souvent des journalistes qui racontent leurs expériences en France ; il est, par conséquent, évident qu’ils soient marqués par le présent. Un critique du journal hebdomadaire DIE ZEIT écrit le 20 janvier 2000 de Heiko Engelkes : « Il se concentre à raconter ce qu’il a vécu en tant que correspondant. » Karl Heinz Götze explique ce manque des textes longs de l’histoire de la façon suivante : « Nous nous devons de […] créer la place pour les esquisses du présent et du futur » (Götze a, p. 15). Certes Jürg Altwegg écrit le petit chapitre « l’empire millénaire » (Altwegg, p. 11-21), et chez Peter Scholl-Latour, on trouve beaucoup de remarques qui se réfèrent à l’histoire. Mais il n’y a pas de chapitres qui traitent de Napoléon, des grands rois ou de Jeanne d’Arc. L’intérêt principal semble être de se concentrer sur l’histoire de ce siècle à partir de la Seconde Guerre Mondiale. La plupart des auteurs porte principalement leur intérêt sur la Résistance dans la Seconde Guerre Mondiale et l’épuration, le procès de Klaus Barbie et les émeutes de 1968 et 1986.

2.1 La Résistance

Bien que les relations franco-allemandes aient été marquées par trois guerres, les auteurs, mis à part quelques remarques, n’en parlent pratiquement pas. Mais, Lothar Baier profite du livre Idéologie française de Bernard-Henry Lévy (1981) pour parler de la résistance française dans le chapitre « la Résistance, un tigre en papier ? » (Baier c, p. 124-151). Lévy avance la thèse que pendant la collaboration de Vichy, il n’y avait que l’idéologie française fasciste, omniprésente, (Baier c, p. 130) que Baier juge comme « trahison à la Résistance » (Baier c, p. 150).[16]

Dans son chapitre, Baier présente plusieurs rapports sur la Résistance dans le département de l’Ardèche. Il souligne que son texte ne remplace pas l’historiographie, mais il espère qu’il incitera à s’occuper de la Résistance non sous l’aspect d’un mythe, mais par rapport à sa création : « Ce qui est intéressant, c’est de comprendre comment cette minorité s’est formée dans ces conditions » (p. 147).

Baier nomme d’abord les différents groupes qui ont formé la Résistance comme le Front National (F.N.) ou les Mouvements unis de Résistance (M.U.R., p. 140-143) et essaie de déjouer plusieurs mythes de ces groupes. Baier, par exemple, s’oppose fermement à l’opinion de Franz Borkenau qui pense que la terreur des groupes communistes était pire que celle de la Gestapo (p. 141-142) et en profite pour faire la critique du mouvement résistant sur le territoire français faisant confiance en De Gaulle et aux bombes qui ont finalement tué beaucoup de civils sans souvent atteindre les véritables objectifs militaires (p. 143).

Baier rapporte ce que la Résistance a fait et ce qu’elle a risqué, mais il ne la glorifie pas et ne l’accuse pas non plus. En somme, Baier se concentre davantage sur leurs résultats de leur lutte contre le fascisme, mais il n’hésite pas non plus à formuler des reproches : par exemple lorsqu’il présente les actes de sabotage des résistants Prayt et Barbe et qui avouent aussi les tortures et les nombreux pillages commis par leurs compagnons (p. 146). Baier rapporte qu’il y a eu des maquisards contre leur gré (p. 147), et que par peur d’une mauvaise réputation, quelques résistants ont tué des coupables de leur propre groupe (p. 146).

Le texte de Baier paraît très authentique, puisqu’il contient plusieurs témoignages de partisans et il prouve que son intention est d’être le plus objectif possible en se distançant des mythes et légendes qu’il n’apprécie pas, en particulier lorsqu’il en sort des interprétations faussées. Il est évident que Baier condamne le livre de Lévy qui contient au moins deux aspects qui le dérangent beaucoup : d’abord, Baier affirme que Lévy condamne le socialisme français à cause de son aversion personnelle qu’il transforme en arguments historiques. Ensuite, il désapprouve la recommandation de Lévy qui est d’accepter l’Etat tel qu’il est, pour que « les fantômes du passé ne reviennent plus » (p. 150). Baier dit sarcastiquement en concluant son chapitre: « La légende la plus niaise de la Résistance contient encore plus de vérités historiques que ce faux démontage » (p. 151).

Il semble que Baier réussisse bien à présenter, de manière réaliste, la Résistance : elle était un groupe divisé d’êtres humains qui ont risqué leur vie pour des buts précieux, mais parmi lesquels se cachaient aussi des brebis galeuses.

2.2 L’épuration

L’épuration est un sujet difficile et sombre dans l’histoire française. Après la libération de la France des occupants allemands pendant la Deuxième Guerre Mondiale, entre 30 000 et 40 000 Français ont été assassinés par leurs compatriotes, parce qu’on leur avait reproché de collaborer. Peter Scholl-Latour qualifie cette période de 1944 et 1945 d’« impitoyable » et lui certifie qu’il y a eu énormément de règlements de compte (Scholl-Latour a, p. 443).

Ulrich Wickert est le seul qui écrit un chapitre sur ce sujet : dans son livre Frankreich, die wunderbare Illusion, il présente plusieurs sous-chapitres qui constituent avec les deux sous-chapitres du procès de Barbie le chapitre intitulé « histoire entre amnistie et amnésie » (Wickert a, p. 155-182). Ce titre montre déjà le reproche principal que Wickert fait à la conscience historique des Français : l’essai d’amnistier les coupables afin de faire oublier les périodes sombres. La construction des sous-chapitres consiste à présenter quelques faits de l’épuration qui encadrent l’histoire choquante de « la rasée de Saint-Flour » (p. 164-167) : Esther Albouy a végété pendant quarante années dans la maison de ses parents sans pouvoir en sortir à cause d’une aventure qu’elle avait eu avec un soldat allemand lorsqu’elle était jeune fille. Avec cette histoire, Wickert semble vouloir prouver que « dans les petites villes de province et villages, la tâche de collaboration a des effets comme la lèpre : seule la mort apporte la délivrance » (p. 164). Plusieurs fois, Wickert compare la France à d’autres Etats, ce qui donne à la France une mauvaise image : Wickert dit premièrement que, contrairement à la Belgique ou les Pays-Bas, la France s’est livrée volontairement au vainqueur allemand (p. 162-163) et, deuxièmement, que la France pose le problème de la culpabilité selon la vision catholique, alors que les Etats-Unis ou l’Allemagne ont choisi la vision protestante.[17] C’est pourquoi les Etats-Unis s’occupent - encore douze années après la guerre du Viêt-nam - de ce sujet et que les Allemands de la troisième génération souffrent désormais de la question de culpabilité (p. 172). Pour un Français, ce comportement de se rappeler semble difficilement compréhensible, affirme Wickert (p. 173). Selon lui, les Français préfèrent mettre ce sujet « dans l’étagère de l’histoire » (p. 173). Wickert affirme que « la terreur fait partie de l’image historique de la France » (p. 170), et qu’on ne la met pas en doute, « parce qu’elle se déclenche comme un phénomène naturel et non pas comme un comportement typique français » (p. 171). C’est aussi pourquoi les historiens ne s’en sont pas beaucoup préoccupés (p. 168) dit Wickert.

Il semble compréhensible que Wickert condamne la cruauté de l’épuration. Il est aussi acceptable que Wickert en décrive les aspects les plus sombres et qu’il se plaigne d’une confrontation et d’une prise de conscience insuffisante. Mais, il est dangereux de comparer plusieurs Etats comme dans le cas de l’Allemagne et du problème de culpabilité car dès que l’on commence à comparer, on pose la question : « Quel état se comporte le mieux ? » qu’on ne peut jamais vraiment répondre. C’est pourquoi il serait préférable de montrer l’utilité pour la conscience nationale que les Français s’occupent davantage des sujets sombres de leur histoire, car ainsi la discussion ne s’éloignera pas du sujet et ne glissera pas vers une comparaison. Une autre solution serait de présenter les faits et ne pas les commenter, ainsi on ne risquerait pas d’être injuste.

2.3 Le procès de Barbie

Klaus Barbie, chef de la Gestapo entre 1943 et 1944 à Lyon, est devenu le symbole du système allemand de la terreur : il a arrêté le chef de la résistance le plus connu, Jean Moulin et l’a probablement torturé à mort. Barbie, connu aussi comme le « boucher de Lyon », a vécu sous un faux nom en Bolivie et a été livré à la France grâce à Serge et Beate Klarsfeld, plus de quarante ans après. En mai 1987, on a engagé à Lyon une procédure contre lui qui a été suivie par presque quatre cents journalistes, dont Lothar Baier pour la taz (die Berliner Tageszeitung) et Ulrich Wickert pour l’ ARD (Arbeitsgemeinschaft der Rundfunkanstalten Deutschlands). Wickert en parle entre autre dans son chapitre « histoire entre amnistie et amnésie » (Wickert a, p. 155-182) et Baier dans le chapitre « Barbie et ses acolytes. Détours dans le passé » (Baier b, p. 113-140).

Les deux auteurs traitent la question que Wickert formule au début de son chapitre : les Français ont-ils oublié et refoulé la période obscure de Vichy ou veulent-ils par le biais de ce procès assumer leur passé ? (Wickert a, p. 155-156).

En ce qui concerne Ulrich Wickert, il semble vouloir faire croire que le procès est dénué de sens. Pour souligner que ce n’est pas seulement sa propre opinion, Wickert cite plusieurs citoyens français du même avis (p. 157-159). Wickert présente deux raisons qui causent l’absurdité de ce procès : d’abord, le jugement est déjà décidé avant le procès (Wickert a, p. 155 et 178) ce que Baier approuve.[18] C’est pourquoi, d’après Wickert, la proclamation du verdict « n’intéresse presque personne » (p. 178). Ensuite, il ne s’agit pas du procès d’un nazi brutal, mais au fond d’assumer le passé français (Wickert, p. 155), continue-t-il. Baier l’approuve en disant : « Le défenseur de Barbie, Jacques Vergès, avait pleinement raison lorsqu’il déclarait dans son ultime plaidoyer que ce procès laissait l’humanité totalement indifférente » (Baier b, p. 130). Wickert va encore plus loin et affirme que même Jacques Vergès, l’avocat de Barbie, s’intéresse davantage à l’éventualité d’une nouvelle image de l’histoire française qu’à la culpabilité de son mandant (p. 175).

Wickert et Baier soulignent que des coupables français de la collaboration n’ont pas encore été punis : Paul Touvier, René Bousquet, Jean Leguay ou Maurice Papon.[19] Baier explique comment on a contourné la loi de l’amnistie en créant la loi « des crimes contre l’humanité » et reproche aux Français : « Mais il ne serait venu à l’idée de personne d’appliquer cette loi aux actes commis par des Français » (Baier b, p. 123). Pourtant il n’y a de crime imprescriptible contre l’humanité que lorsqu’il a été commis par « un Etat pratiquant une politique d’hégémonie idéologique », ce qui exclue des « excès de Massu et Bigeard » en Algérie, explique Baier (Baier b, p. 130). A en croire l’auteur, la justice a eu le génie de faire d’une pierre deux coups dans la formulation même de la plainte contre Barbie : « Dans l’intérêt national, elle écartait les plaignants indésirables en vertu de l’unicité des massacres nazis pour mieux relativiser celle-ci, une fois de plus, sans en avoir l’air » (Baier b, p. 130).

Ainsi, conclue Baier, le procès de Barbie n’a pas réussi à donner une leçon d’histoire. « En réalité », dit-il, on a « essayé d’annuler le processus de prise de conscience historique des quinze dernières années, et de rétablir le statut quo ante » (p. 131). Baier termine amèrement son chapitre en mentionnant que l’ancien résistant et déporté de Buchenwald Camille Monnod attend toujours, « mais en vain », le procès des collaborateurs (p. 139-140).

Selon Wickert et Baier, la reprise du sujet de Vichy (Wickert, p. 178), et la reconnaissance juridique des victimes (Baier b, p. 140) sont les seuls mérites de ce procès. Cette conclusion signifie une critique dure du système français qui essaie, d’après les auteurs, de protéger les propres responsables et de ne pas s’occuper des propres crimes contre l’humanité. Wickert termine son chapitre : « Ou la grâce divine de l’absolution agit « ‘l’advocatus diaboli’ »[20] n’a aucune chance » (p. 178).

2.4 Les émeutes de 1968 et 1986

Le projet de loi des droites universitaires « fut la goutte qui fit déborder le vase, vase dans lequel on ne savait même pas qu’il contenait de l’eau. Mais, c’est ainsi que des révoltes se déclenchent souvent, en particulier en France » écrit Karl Heinz Götze (Götze a, p. 141). Peter Scholl-Latour et Jürg Altwegg s’intéressent également à ses deux émeutes et les comparent, tandis que Heiko Engelkes se consacre surtout à la sédition de 1968. Il est donc nécessaire de se concentrer sur les révoltes des étudiants et des élèves.

Selon les auteurs, l’évolution des troubles entre ceux de 1968 et ceux de 1986 se fait sur trois aspects : en 1986 les élèves et étudiants renoncent à toute idéologie ou attachement à un groupe politique, manifestent leurs intérêts moins violemment et se solidarisent publiquement avec les étrangers. L’unique point commun se trouve dans les nombreuses manifestations organisées dans les rues à cause de leur mécontentement du système scolaire et universitaire. La particularité du refus des partis politiques est que les jeunes gens se différencient également du marxisme[21], leur désir n’étant pas de créer une utopie, mais de se montrer pragmatiques (Altwegg, p. 215-216).

Heiko Engelkes relate les violentes confrontations des étudiants et de la police, elle-même érigée contre les journalistes (Engelkes, p. 130-133). Pendant l’agitation de 1986, il y a eu beaucoup moins d’agitation, rapportent Peter Scholl-Latour et Jürg Altwegg : les étudiants avaient formé des « services d’ordres » contre les actes violents, souvent exceptionnels et commis par quelques marginaux (Scholl-Latour a, p. 199). Jürg Altwegg dit qu’il s’agissait de « provocateurs d’extrême droite » qui ont envenimé le conflit, et que même la police se montrait moins disciplinée que les manifestants (Altwegg, p. 215). Pour prouver son affirmation de la « nature tout à fait démocratique » de l’agitation de 1986, Altwegg cite le philosophe Luc Ferry qui voit comme différence essentielle la revalorisation de la loi dans l’émeute de 1986 en comparaison avec celle de 1968 (Altwegg, p. 221).

Peut-être aurait-on pu trouver un compromis en 1986, suppose Scholl-Latour. Mais après la mort de Malik Oussekine, l’ambiance s’est changée en fureur déchaînée. « Une coopération avec le gouvernement n’était plus la question », analyse Scholl-Latour et conclue : « Les étudiants avaient forcé cette capitulation » du « professeur chimique sympathique » (Scholl-Latour a, p. 200 et 199) et répétaient dans les rues le nom de Malik (p. 201). C’est aussi une différence en comparaison avec la révolte de 1968, continue Scholl-Latour : certes ce sont des enfants de la bourgeoisie qui donnent le ton, mais il y avait aussi beaucoup d’hommes de couleur, des Noirs et des Maghrébins qui donnaient à l’émeute une autre composition sociologique (p. 201).

En ce qui concerne le jugement des agitations de 1968 et 1986, Jürg Altwegg les compare en s’exprimant très clairement. Il approuve Engelkes qui dit que la sédition de mai 1968 signifiait entre autre la révolte, la violence et l’attitude intransigeante. Altwegg prétend par ailleurs que la révolte de 1968 était irrationnelle, tandis que celle de 1986 était guidée par la raison (Altwegg, p. 221). Il conclue qu’en 1986 « la raison a gagné », et que de cette manière « aucune révolte n’a jamais fini en France » (Altwegg, p. 222).

On voit que les auteurs donnent une image assez complexe des deux émeutes : Götze se concentre plutôt sur l’aspect de formation, Engelkes sur ses expériences comme journaliste, Scholl-Latour et Altwegg sur la dimension sociologique et politique. Quant à l’agitation de 1968, les auteurs se montrent tous distancés, mais ne la condamnent pas. En ce qui concerne celle de 1986, Jürg Altwegg est le seul qui présente un jugement si positif ; les autres se refusent à tout commentaire.

Il est frappant que les textes sur l’histoire de France présentent principalement des sujets de la Seconde Guerre Mondiale. Mais au lieu d’écrire sur le conflit dans son ensemble - ce qui serait plutôt un sujet international - les auteurs ont choisi des sujets comme la Résistance et l’épuration, des sujets très liés à l’histoire des Français. En plus, ce sont des sujets plus anodins, les auteurs n’ont pas pris le risque de parler de la collaboration ou des crimes commis des Français sous Vichy. Il semble que la raison serait la peur de condamner une chose dont le propre peuple est encore plus coupable. Klaus Harpprecht prouve cette supposition en écrivant que la France dans la Seconde Guerre Mondiale n’était pas innocente, mais qu’on ne peut pas comparer la culpabilité des Français avec celle des Allemands. Et il ajoute : « Rien ne donne le droit aux Allemands de montrer du doigt l’autre côté du Rhin pour murmurer avec un souffle de soulagement : ‘Ah, eux aussi… ‘ » (Harpprecht b, p. 97).

Au lieu de risquer ce comportement, les auteurs se concentrent à nier des mythes et de critiquer le fait que la France essaie de refouler les cruautés de l’épuration ou de la collaboration. « La France qui aime si bien se miroiter dans le soleil de son histoire, combat en même temps sans cesse avec ses ombres » dit Klaus Harpprecht (Harpprecht a, p. 229). Pendant que Baier et Wickert, ayant écrit leurs livres dans les années quatre-vingts, persuadés que la France ne s’est pas encore assez occupée de ses erreurs historiques, Klaus Harpprecht présente en 2000 un autre bilan : il certifie aux Français un « examen objectif » de leur histoire et affirme qu’il demeure peu de mythes. Harpprecht conlue : « En d’autres mots : l’histoire de la France est en train de s’adapter au procès européen ».[22]

On voit que tous les sujets de la Seconde Guerre Mondiale sont délicats pour les Allemands, pendant que les émeutes de 1968 et 1986 sont beaucoup plus faciles à décrire sans émotions. Probablement les auteurs arrivent à rester objectifs, parce qu’il s’agit d’une affaire française avec laquelle les Allemands n’ont rien à faire.

3. LA GEOGRAPHIE DE LA FRANCE

« Tout ce qui ne vient pas de la capitale, est en France la province – même les grandes villes comme Bordeaux, Marseille, Lyon, Lille », explique Jürg Altwegg (Altwegg, p. 226) à ses lecteurs. Il affirme que l’antagonisme entre Paris et la province marque encore la vie des provinciaux, mais que ces derniers temps la province bénéficie d’une meilleure image, et que cette expression n’est plus utilisée que sur le ton du mépris (p. 225).

Mais chez les auteurs, on ne remarque pas vraiment cette revalorisation : en dehors de Paris, aucun auteur ne parle de grande ville. C’est de toute évidence Paris qui est au centre de l’intérêt des auteurs, ce qu’illustre la citation de Sieburg : « La rencontre décisive avec la France s’effectue pour chacun à Paris » (Sieburg, p. 120). Même quand il s’agit de Paris, les banlieues ne sont présentées qu’en arrière-plan. Les auteurs se le reprochent d’ailleurs mutuellement dans les journaux.[23] On voit, par conséquent, que les auteurs n’arrivent pas si facilement à prendre leurs distances avec la forte influence de Paris ; trois des quatorze livres examinés mentionnent déjà Paris dans le titre : Immer Paris (Götze) , Und Gott schuf Paris (Wickert) , Bonjour Paris. Mein Leben mit Frankreich (Engelkes) . Pourtant il faut aussi se rendre compte que les auteurs parlent logiquement de la région dans laquelle ils ont habité : Ulrich Wickert a passé treize ans à Paris et Heiko Engelkes vingt-deux.[24]

3.1 La capitale Paris

« Aucune ville n’a été si souvent décrite, pensée et filmée que Paris », écrit Karl Heinz Götze (Götze b, p. 14) ce qui vaut aussi pour les livres étudiés dans ce mémoire. Pourtant parmi les neuf auteurs, le sujet « Paris » domine seulement chez Ulrich Wickert et Karl Heinz Götze.[25] Alors que Wickert parle aussi dans son livre de sujets qui n’ont pas de rapport direct avec Paris, Götze décrit uniquement ses aventures associatives dans la ville sans prétendre qu’elles soient objectives. Je renonce à nommer tous les quartiers et monuments que Wickert et Götze décrivent, mais je vais souligner que dans leurs textes, les auteurs présentent ce qu’ils voient et savent, et ne présentent pas les problèmes de la ville ou des banlieues.

Götze reproche à Wickert de ne pas parler de la banlieue – ce que Harpprecht reproche aussi à Götze. Cela montre, à mon avis, que Götze et Wickert s’intéressent plus à la ville qu’à la banlieue ce qui n’est pas extraordinaire si on regarde le nombre de livres sur Paris ; mais qu’ainsi les lecteurs apprennent plus sur la vie culturelle de Paris que sur ses problèmes de métropole.

A part les descriptions des quartiers et des monuments, quatre aspects, que je vais présenter dans ce sous-chapitre, sont nommés plusieurs fois à propos de Paris: la diversité, le lieu impératif pour faire carrière, l’attirance puis le découragement qu’elle représente pour beaucoup de gens.

Les auteurs s’accordent à dire que Paris est une ville variée. Götze affirme que Paris est une métropole prosaïque et moderne et est la « capitale de la beauté et de l’esprit » (Götze b, p. 33). Götze est impressionné qu’à Paris les nouveautés s’intègrent tout naturellement et facilement – une chose qu’il ne trouve nulle part en Allemagne (Götze b, p. 25). Wickert dit que Paris représente l’histoire française, qu’elle réunit en elle la littérature européenne, et qu’elle « produit » des gens qui veulent arriver au sommet de leur carrière (Wickert b, p. 15). A Paris habitent des gens « qui ont quelque chose à dire » (Wickert b, p. 92), des gens d’esprit et des gens très ambitieux (Wickert c, p. 209). Wickert conclue que celui qui veut faire carrière doit vivre à Paris, et il commente : « en plus, on ne vit aussi bien dans aucune autre ville. C’est déjà une raison suffisante » (Wickert a, p. 105).

Paris est différente pour chacun (Götze b, p. 8-10). Elle est la ville d’une très grande nostalgie (Götze b, p. 7) et attire des milliers d’intellectuels. A peu près cents mille personnes viennent chaque année en région parisienne, mais dans le même temps, cent soixante-dix mille déménagent pour s’installer en province (Harpprecht b, p. 185). Wickert explique qu’il était considéré, dans les années 1960 et 1970, que vivre à Paris était « plus chic », mais qu’aujourd’hui on attache plus d’importance à la qualité de vie des régions ensoleillées où tout se passe plus lentement (Wickert c, p. 179). Harpprecht présente les résultats d’un rapport[26] traitant de ce changement : les gens sont pris d’un « mal de vivre » qui est la conséquence des difficultés du quotidien comme les embouteillages, la pollution, le déclin des bonnes manières ou l’insécurité (p. 185). Harpprecht cite aussi des raisons qui ne facilitent pas la vie à Paris pour les étrangers. Selon lui, Paris les accepte, mais attend en même temps « que les étrangers ne restent pas des étrangers, mais deviennent des Français parmi les Français » (Harpprecht b, p. 15). Il est d’avis que Paris est une ville nerveuse et dure qui rend la vie plus difficile aux étrangers – et quelque fois aussi à ses propres habitants – que New York (Harpprecht b, p. 14). Lothar Baier le confirme en avouant qu’il a, pendant des années, fait un détour pour éviter Paris, parce que « contrairement aux lois de la physique, le mouvement fou de cette ville me semblait produire non de la chaleur, mais de la froideur (Baier b, p. 19).

Ces remarques montrent les deux côtés de la vie à Paris, mais puisque le côté négatif prend dans les textes une place négligeable, il est probable que le lecteur l’oubliera. Car ce qui domine incontestablement, ce sont les descriptions des bâtiments et des endroits connus comme les Champs-Elysées, la tour Eiffel ou le quartier de la Bastille. Bien qu’on ne puisse pas nier les problèmes de Paris, Götze et Wickert donnent au lecteur l’impression, et perpétuent par là le rêve, que Paris a toujours plus de bons côtés que de mauvais. A mon avis, Wickert et Götze n’ont pas réussi à se libérer eux-mêmes de ce rêve. Une preuve en est non seulement que la plupart des descriptions négatives viennent de Harpprecht et Baier, mais l’exemple suivant l’illustre aussi : bien que Götze fût contre l’idée de mettre la tour Eiffel sur la couverture de son livre, parce qu’elle ne l’intéresse pas particulièrement (Götze b, p. 125-126), il s’est décidé à l’accepter et conclut : « Celui qui parle de Paris, ne peut pas échapper à la tour Eiffel. C’est comme ça, et personne ne peut rien faire contre » (Götze b, p. 126) et consacre quand même un chapitre à la tour Eiffel. C’est pourquoi je suppose que Götze et Wickert connaissent les côtés négatifs de la vie à Paris et ils savent que beaucoup d’écrivains ont déjà décrit les monuments de Paris, mais qu’ils ne peuvent pas ne pas en faire autant.

Par conséquent, on peut conclure que Paris ne perdra probablement jamais sa place prépondérante dans des descriptions que font les Allemands de la France ce qui reflète le centralisme français.

3.2 La province

Les sous-chapitres suivants traiteront du Sud de la France, du pays d’oc, de Nice, de la Corse et enfin de Monaco. Ce sont des lieux qui ont souvent un intérêt personnel pour les auteurs et dans lesquels ils résident parfois. En ce qui concerne Monaco et la Corse, il est probable que Ulrich Wickert en ait déjà parlé alors qu’il était correspondant ce qui explique la remarque dans laquelle il décrit comment obtenir une interview avec le prince Rainier III.[27]

Il est frappant qu’il n’y ait que des textes sur les régions du Sud, et que seul Klaus Harpprecht parle un peu de l’Alsace (Harpprecht a, p. 176-181), une région très marquée par les conflits entre la France et l’Allemagne. On peut supposer que les correspondants n’y faisaient que rarement des reportages, et que les auteurs qui vivent en France sont, à cause du climat, plus attirés par le Sud. Peter Scholl-Latour écrit à ce sujet : « L’objectif de ce livre ne peut pas être de présenter toutes les régions et provinces de France comme dans un guide touristique » (Scholl-Latour a, p. 397).

3.2.1 Le Sud de la France

« L’air sent bon les pins, la lavande et le romarin. Tout est éclairé, les couleurs sont plus fortes. Et le soleil » (Vanderbeke, p. 13). Birgit Vanderbeke donne une image du Sud de la France dont beaucoup d’Allemands rêvent. Ce rêve en attire beaucoup qui veulent y vivre et Vanderbeke dit que pendant les dernières années, le nombre de touristes achetant des maisons a beaucoup augmenté.[28] Ce sont en particulier des Suisses, Belges, Anglais et Allemands.

Avec le livre Gebrauchsanweisung für Südfrankreich, Birgit Vanderbeke présente le Midi aux Allemands et veut se distancer du style de Peter Mayle auquel elle reproche de « simplifier » et de « railler ».[29] C’est peut-être la raison pour laquelle on ne trouve pratiquement aucun jugement négatif quand elle parle du Sud de la France, mais la raison principale est probablement qu’elle trouve le Midi « ravissant » (p. 7), et qu’elle lui a « succombé » (p. 8). Klaus Harpprecht nuance un peu ce tableau idyllique, quand il parle avec horreur des « tours d’hôtels » et des « projets gigantesques » des « magnats de l’immobilier » qui enlaidissent les côtes (Harpprecht a, p. 27).

On trouve aussi dans ce livre des informations diverses, par exemple, des recettes de cuisine méditerranéennes (voir chapitre 6.2.2), des informations et des conseils concernant le temps[30] ou le comportement des gens (voir chapitre 6.1.2).

On peut, par conséquent, conclure que Birgit Vanderbeke parle de la vie dans le Midi sous plusieurs aspects. Mais l’envie d’éviter que les Allemands qui viennent s’installer dans le Sud soient déçus est partout présente et plus forte que le souhait de décrire simplement le Sud de la France.[31] Cela se voit fortement par le fait que l’auteur s’adresse toujours à un couple allemand fictif (Hildegard et son mari), auquel elle donne, au chapitre « La maison en pierre naturelle » (p. 25-36), des conseils pour acheter une maison (p. 104).

Parmi les auteurs qui parlent du Sud de la France, Birgit Vanderbeke en écrit le plus. Klaus Harpprecht en écrit tout un livre[32] qui est, comme il l’explique dans l’e-mail du 13 avril 2003, de la fiction avec quelques aspects réels.

Il y a deux choses qui sont frappantes : d’abord que les deux auteurs qui parlent de la France du Sud y habitent. Birgit Vanderbeke vit dans la Région Languedoc-Roussillon, et Klaus Harpprecht dans la Région Provence-Alpes-Côtes-d’Azur. En conséquence, il y a comme chez les auteurs de Paris un lien direct entre le sujet du livre et le lieu de résidence. Ensuite il semble que ce sujet se vende très bien : les Dorfgeschichten de la Provence ont été vendues en deux années à plus de 20 000 exemplaires, et le livre de Vanderbeke en une année à plus de 7 500 exemplaires . A titre de comparaison, « L’entreprise France » de Lothar s’est vendu, en quinze années, à un peu plus de 12 500 exemplaires.

3.2.2 Le pays d’oc

Lothar Baier est le seul auteur qui décrit le pays d’oc. Il lui consacre dans son livre Französische Zustände même deux chapitres : le premier s’intitule « Mon pays d’oc » (p. 152-166) qu’il a écrit en 1976 et le second « Le pays d’oc en 1981 » (p. 167-179). Ces deux chapitres racontent le mouvement d’indépendance de cette région et donnent le point de vue personnel de Lothar Baier.

L’auteur décrit deux phases sur son point de vue à l’égard du pays d’oc : quand il entend parler pour la première fois en 1965 du mouvement de l’Occitanie pour l’indépendance, il n’est pas seulement surpris, mais n’arrive même pas à le comprendre. Il l’explique par le fait qu’il a appris à l’école que le nationalisme est responsable de toutes les catastrophes en Europe, et que c’est justement le mot « nationalisme » qui est utilisé plusieurs fois sur un dépliant qu’il a lu (p. 153). Dix ans après, Baier écrit des articles sur l’Occitanie, utilise des expressions comme « colonialisme intérieur » et « impérialisme linguistique » et avoue même qu’il éprouve de la satisfaction quand il entend à la radio que des vignerons du Languedoc ont fait sauter une cave qui stocke du vin italien (p. 153).

Au chapitre suivant, Baier est déçu de constater que « le mouvement du pays d’oc est pratiquement mort » (p. 167). Il analyse que c’est la conséquence de l’opinion des partisans de l’unification de l’Occitanie : ils ont cru que la misère d’un petit groupe formerait une identité unifiant tous ceux qui parlent la langue d’oc (p. 172), et Baier cite le porte-parole du mouvement du pays d’oc Yves Rouquette qui avoue que l’association de problèmes très spécifiques à l’Occitanie toute entière était une faute grave (p. 173-174).

Baier explique en détail le pourquoi du problème d’une identité commune en Occitanie : « Son unité est une grandeur fictive » (p. 169). Les partisans de l’Occitanie présentent les problèmes d’un territoire beaucoup plus petit que les trente-et-un départements portant le nom de pays d’oc. La langue occitane est seulement un compromis qui n’a été trouvé que péniblement. Baier cite le paysan Roland Dufour parlant un patois qui n’a presque rien à voir avec l’occitan qu’on enseigne à l’école (p. 170).

Selon Baier, beaucoup d’Occitans ne peuvent pas s’identifier à leur région parce qu’ils s’y associent la soumission à la famille et le contrôle permanent de la communauté du village. Il relèverai donc du miracle, constate Baier, qu’on ait la nostalgie d’un paradis perdu de l’Occitanie. (p. 177).

Grâce à ces deux chapitres, Baier montre bien que le problème de ce mouvement est qu’il a surestimé ses possibilités. Mais Baier décrit le problème seulement du point de vue des Occitans et ne fait pas parler les gens qui ont été victimes des actes violents de ce mouvement. Je trouve aussi problématique qu’un auteur réputé se solidarise ouvertement avec la destruction d’une cave à l’explosif.

3.2.3 Nice

Jürg Altwegg est le seul journaliste qui parle de Nice et cela sur seulement sept pages. Bien que les autres journalistes aient écrit beaucoup plus de pages sur leur région, j’aimerais présenter l’image de Nice, parce qu’ici le point de vue subjectif de l’auteur est évident et la critique dure.

Déjà dans la première phrase du chapitre « A Nice » (Altwegg, p. 138-146), Jürg Altwegg fait part de son opinion négative : il conseille à tous ceux qui veulent y habiter : « Evitez Nice, car c’est le repaire du milieu criminel le plus puissant » (p. 138), et au premier paragraphe Jürg Altwegg affirme que les criminels travaillent ensemble avec la police, et que la justice est impuissante. Il semble que Altwegg soit fortement influencé par ses propres expériences, parce qu’il dit que lui et ses amis ont été victime de cette criminalité, bien qu’ils soient étrangers (p. 138).

Jürg Altwegg avoue que Nice n’a apparemment rien perdu de son attrait, et que la ville et la plage dégagent une atmosphère exceptionnelle (p. 139). Mais Altwegg s’empresse d’énumérer ses inconvénients en utilisant un vocabulaire péjoratif : la bourgeoisie s’est concentrée plus brutalement qu’ailleurs et, sans scrupules pour le tourisme, a sacrifié de grandes parties du superbe paysage. Selon Altwegg, l’atmosphère de la Côte d’Azur, qui était autrefois tellement paisible, est devenue agitée et les manières sont moins « gentlemenlike ».[33] L’expression la plus négative dénonce la « corruption institutionnalisée qui pue jusqu’au ciel ». Et il conclue impitoyablement : « Ce n’est pas sans raison qu’on appelle Nice, le Chicago de la Méditerranée. » (p.139). Jürg Altwegg continue de parler de la criminalité qui apparaît comme un réel lobby : « la Camorra », le clan des hommes politiques et criminels qui règnent sur la ville. Altweg relève que l’une de ses conséquences est la hauteur des primes d’assurance (p. 139-141). Il n’est pas le seul auteur qui soit préoccupé par la criminalité et la mafia. Klaus Harpprecht assure que tout le Midi est en proie à une « déshumanisation de la politique » et raconte les crimes des clans de la Mafia (Harpprecht a, p. 166-167).

Pour terminer, Altwegg n’accorde aucun rayonnement à Nice : « On se délecte de la splendeur d’une époque ancienne qui ne revient quand même pas » et « on ne peut pas parler d’une culture de création ; Nice conserve les grandes œuvres du passé et s’occupe des musées » (Altwegg, p. 143). D’après Altwegg, Nice essaie d’être en concurrence avec Cannes ou Monte-Carlo (p. 142). Mais à la différence de ces deux villes, Nice n’a jamais réussi à présenter une manifestation à rayonnement mondial (p. 143-144).

On peut dire que le jugement de Altwegg est accablant. Il a probablement atteint son but : chacun après avoir lu ce chapitre hésiterait à s’installer à Nice. Il est frappant que les arguments de Altwegg contiennent plus de jugements que des preuves.

3.2.4 La Corse

A part quelques remarques sur le paysage et l’énumération des anciens maîtres corse (Harpprecht b, p. 161,163), Klaus Harpprecht se limite aux trois mêmes sujets que Ulrich Wickert dont je vais traiter dans l’ordre suivant : l’échec de l’intégration de la Corse, le refus de payer les impôts et le terrorisme corse.

« Il semble que le clan de Bonaparte a lié l’île à la France, mais qu’une intégration parfaite n’a jamais réussi » écrit Klaus Harrpprecht (Harpprecht b, p. 163) et rapporte cependant que dans les années 1980, le ministre de l’intérieur Pierre Joxe a accordé à la Corse une autonomie étendue. Les contribuables du continent, continue-t-il, pourraient économiser des milliards en subventions si la Corse devenait indépendante, « mais cela signifierait l’envoyer dans la misère » nuance Klaus Harpprecht (Harpprecht b, p. 163). De plus, quatre-vingt-dix pour-cent des Corses y sont opposés (p. 164). Wickert cite le même chiffre et ajoute que, même parmi les défenseurs les plus farouches de l’indépendance de la Corse, la moitié s’exprime pour l’attachement à la France qui est une « vache à lait agréable » (Wickert c, p. 177).

Paris a beaucoup réduit les impôts corses et « confirme pour ainsi dire officiellement qu’en Corse, on n’a pas l’intention de livrer son argent au fisc » (Harpprecht b, p. 163). Personne ne s’y connaît si bien dans les subventions que les Corses, affirme Wickert. Il prétend qu’il n’y a probablement aucune aide de l’Union européenne que les Corses n’aient pas encore demandée. Sur le papier, on cultive tout ce qui rapporte de l’argent de Bruxelles, et pour l’octroi, il n’y a aucun problème « puisque ce ne sont pas des fonctionnaires de Bruxelles, mais des Français de Corse qui examinent les demandes », et que la communauté est parfaitement solidaire (Wickert c, p. 176). Wickert raconte en détail l’histoire d’un agent du fisc d’Aix-en-Provence[34] qui a voulu révéler que la majorité des Corses ne paie pas d’impôts. La conséquence a été des menaces et des actes de terreur. Enfin, on l’a destitué pour « raisons de sécurité » (Wickert c, p. 184). Wickert conclue que même les mesures les plus dures décidées par Paris ne peuvent pas changer le fait que les Corses ne respectent pas les lois (Wickert c, p. 177).

Parmi les terroristes politiques en France, les membres du FLNC (Front de Libération National Corse) sont les plus virulents, affirme Ulrich Wickert (Wickert a, p. 319), et Harpprecht dit que les séparatistes corses sont les seuls réellement forts en France (Harpprecht b, p. 183). En vérité, il ne s’agit pas d’un mouvement, mais de clans ennemis qui se nomment seulement combattants clandestins « dans leur agitation infantile », juge Klaus Harpprecht (Harpprecht b, p. 162). Normalement ils épargnent des vies humaines confirme Harpprecht, mais Wickert poursuit : ils se contentent de brûler des maisons de vacances pour expulser les étrangers, de lancer des bombes dans les gendarmeries ou de faire exploser des cocktails Molotov devant les portes des bâtiments de l’Administration (Harpprecht b, p. 162). Mais ces derniers temps, on compte aussi des morts comme le préfet Claude Erignac le 6 février 1998 (Wickert c, p. 185). Même la gendarmerie n’a plus une bonne réputation, dit Wickert, et apporte comme preuve l’histoire du scandale du préfet Bernard Bonnet (Wickert c, p. 186-189).

Il est évident que le mouvement clandestin corse est loin d’être autant soutenu que le mouvement pour l’indépendance du pays d’oc de Lothar Baier. Le chapitre intitulé « Chaos en Corse » (Wickert c, p. 175-189) annonce déjà que Wickert ne présente pas une image positive de la Corse. Ni Harpprecht ni Wickert ne présentent les arguments du mouvement corse. Ils se contentent de rapporter les résultats de leurs actes terroristes.

La façon dont sont traités ces trois sujets donne à la Corse, comme auparavant la description de Nice faite par Jürg Altwegg, l’image d’un lieu criminel. Harpprecht et Wickert soulignent aussi le conflit politique entre le continent et la Corse qui a toujours posé problème. Harpprecht conclue même : « Le problème corse sera pour autant qu’on puisse juger insoluble » (Harpprecht b, p. 164).

3.2.5 Monaco

Comme c’est souvent le cas pour les chapitres concernant la province, un seul auteur parle de Monaco : Ulrich Wickert. Il est étonnant que Wickert traite de ce sujet précisément dans son livre Und Gott schuf Paris: puisque Monaco est un Etat indépendant, il n’a normalement rien à faire dans un livre sur Paris. Mais Wickert établit un lien entre les Français et Monaco sur lequel je veux me concentrer ici : il y a d’abord le peuple français qui s’intéresse à la vie de la famille royale, et ensuite les Français qui souhaitent travailler à Monaco.

Le chapitre de Wickert s’appelle « Vivre sur deux hectares d’or » (Wickert b, p. 252-267) et comme le titre l’annonce, ce texte présente plusieurs passages pleins d’ironie. D’après Wickert, le magazine Paris Match ne satisfait pas seulement la « nostalgie confuse » d’une monarchie française, mais aussi le rêve de la Française moyenne qui recherche quelque chose de « surélevé » (p. 252). Les princesses Caroline et Stéphanie de Monaco apparaissent souvent en première page de Paris Match et symbolisent, selon Wickert, le bonheur et le drame et constituent « un mélange unique entre l’Amérique de Hollywood et la haute noblesse européenne » (p. 252). On remarque déjà ici que Wickert ne respecte que peu ces magazines et les gens qui les lisent. Si on prend la direction de Gènes en voiture, il est difficile de ne pas rater la vue sur Monte Carlo, et c’est pourquoi Wickert constate ironiquement qu’il « est plus facile d’acheter le rêve sur le papier » (p. 252). Quand Paris Match relate la vie de la famille royale, seul le luxe ostentatoire est présenté, et c’est pourquoi Wickert affirme que « la Parisienne comme la Française de province arrachent Paris Match des porte-revues des kiosques pour dépenser leur salive » en parlant de la vie de Caroline et de Stéphanie (p. 254).

Wickert raconte « que beaucoup de choses qui font que la monarchie existe sont dans les mains de l’Etat français » : les soldats français « en chemises bien repassées » travaillent dans l’armée de Rainier III (p. 253), plusieurs milliers de travailleurs français viennent quotidiennement dans l’état princier (p. 264), et des diplomates français bien réputés espèrent devenir Premier ministre à Monaco car, comme Wickert le dit avec un clin d’œil, c’est un « travail tranquille et bien payé » (p. 253). Wickert rapporte que le Premier ministre « a si peu de choses à faire » qu’il va au téléphone quand la secrétaire n’est pas à sa place, et qu’il écrit quelquefois même par paresse ses lettres à la main (p. 260).

Si on juge le contenu du chapitre, il ne faut pas oublier que Wickert écrit dans la plupart des cas avec humour. Si les Français sont quelquefois décrits de manière un peu ridicule, il s’agit d’un humour gentil et non méchant. Mais il semble que Wickert veut présenter Monaco comme un Etat qui satisfait beaucoup de souhaits irréels des Français. Ainsi la description de Monaco reste partielle.

3.3 La francophonie

« Ce qui représente la francophonie, c’est la reconnaissance de la souveraineté la plus haute : la langue française qui brille au-dessus du trône des mots » dit Maurice Druon, secrétaire général de l’Académie Française (Harpprecht b, p. 123). Klaus Harpprecht trouve que cette remarque est un peu exagérée (p. 123) et ne parle que sur quelques pages de la francophonie alors que Peter Scholl-Latour lui accorde plusieurs chapitres.[35] La notion de francophonie a été créée par le géographe Onésime Reclus et apparut en 1880 dans son ouvrage « France, Algérie et colonies » en prenant le sens de « qui parle français ». Son usage a évolué sous l'influence du concept de franco­phonie après l'indépendance de la plupart des colonies. C'est d’abord le fait d'être francophone donc parlant français, mais aussi un lien culturel et sentimental entre les membres de la communauté francophone.

Harpprecht et Scholl-Latour s’accordent à dire que l’importance du français a diminué en faveur de l’anglais : Harpprecht rapporte que seulement une petite partie de la francophonie parle français. En Afrique noire, ce ne sont que certaines personnes cultivées, et « même le Viêt-nam communiste fait partie de la francophonie bien que seulement un pour-cent des soixante-quinze millions de vietnamiens parle français », explique-t-il (p. 122). Scholl-Latour a dit au cours d’une discussion avec des journalistes en Afrique: « Même des collègues de Paris extrêmement patriotes ont dû avouer que l’addition de tous les territoires où l’on parle français fait un bilan pauvre comparé à l’incomparable marche triomphale de l’anglais » (Scholl-Latour a, p. 504-505).

D’après les deux auteurs, la francophonie ne rapporte pas beaucoup à la France. Scholl-Latour dit : « L’engagement français en Afrique n’est sûrement pas facile » (Scholl-Latour a, p. 499). De l’avis de Harpprecht, cela vaut non seulement pour les DOM Martinique et Guadeloupe, mais aussi pour la Réunion et Tahiti. Tahiti et les autres îles du Pacifique n’avaient de l’importance que pour les essais nucléaires. Harpprecht conlue qu’au total la France a compris que « les restes de l’empire colonial » sont devenus « un fardeau pour l’homme blanc » (p. 165). Scholl-Latour rapporte d’une discussion avec son ami Julien Souture, ex-conseiller technique du ministère de l’Intérieur de l’archipel des Comores[36]: « Nous étions d’accord pour que la France puisse bien renoncer à Mayotte et ainsi même consolider et renforcer sa présence sur les autres îles des Comores (Scholl-Latour a, p. 92). « Pourtant les hommes politiques français, peu importe leur appartenance politique, tiennent encore à l’idéal de la francophonie de laquelle ils parlent avec un sourire éclairé comme si ce mot ouvrait les portes du paradis », écrit Harpprecht (Harpprecht a, p. 121) et critique cette attitude en disant : « La magie des tropiques est en particulier important pour le souhait touristique d’un paradis [...] et sert à se souvenir d’un empire colonial où le soleil ne se couchait pas » (p. 165). Mais Harpprecht mentionne aussi que « la République française ‘unique et indivisible’ ne peut pas, même si elle le voulait, rejeter un de ses enfants, peu importe s’il est rétif, agaçant et cher » (p. 164). Peter Scholl-Latour ne critique pas si fortement cette attitude actuelle, mais plutôt celle des temps de la colonisation, en particulier l’exploitation et l’oppression (Scholl-Latour a, p. 488).

En ce qui concerne les aspects positifs des territoires francophones, Harpprecht présente seulement le grand engagement financier que représente le développement de la langue française : « Une dépense que ne s’expliquent pas les députés de l’assemblée nationale allemande, qui sont avares et souvent tellement imprévoyants, puisqu’ils considèrent les frais culturels comme un luxe que les nations industrialisées ne pourraient pas s’accorder » (p. 123). Scholl-Latour en présente les avantages politiques. Certes, il avoue même qu’il était autrefois convaincu que l’Allemagne a eu de la chance d’avoir perdu si tôt ses colonies, parce qu’on ne peut pas lui reprocher une exploitation impérialiste, mais il ajoute que les Allemands ont peut-être ainsi « perdu tout sens pour la réalité du Troisième Monde » (Scholl-Latour a, p. 487-488). Il assure que la France a eu « la main heureuse » en Afrique Noire après la décolonisation (Scholl-Latour a, p. 491) et dit qu’aux conférences et aux réguliers sommets des Etats francophones, « les différences idéologiques et religieux sont relativisées de manière remarquable » (Scholl-Latour a, p. 489).

Il est surprenant que les deux auteurs montrent une attitude positive face à l’importance culturelle française, mais qu’ils parlent quand même des anciennes colonies comme de « fardeaux » (Harpprecht b, p. 165 ; Scholl-Latour a, p. 499) qui n’apportent plus beaucoup. Peter Scholl-Latour se distingue des autres auteurs par ses chapitres sur la francophonie, car aucun auteur n’en a écrit un chapitre entier. Il n’est pas étonnant que l’intérêt de Scholl-Latour vienne de sa profession – correspondant en Afrique de 1960 à 1963 – et de ses voyages hors de métropole ainsi qu’au Viêt-nam. L’image que Harpprecht et Scholl-Latour présentent de la francophonie est plutôt négative à cause des problèmes qui ne sont pas encore résolus.[37] Cela se retrouve de façon évidente dans la remarque de Scholl-Latour : « J’ai visité tous les DOM-TOM, mais je n’ai pu me familiariser avec aucun » (Scholl-Latour a, p. 505).

Le chapitre sur la géographie a montré des images très variées de quelques régions françaises. L’image du Sud de la France est la plus contrastée ; dans celle de Paris dominent le caractère centralisé de la métropole et des monuments. Les présentations du pays d’oc, de Nice et de la Corse sont très spécialisées sur un seul sujet ; là il aurait été préférable de choisir un titre qui l’indique plus clairement : le titre « Chaos en Corse » est encore plus précis que « A Nice ». A mon avis, l’auteur devrait aussi clairement annoncer qu’il ne traite qu’un aspect. Puisque la présentation de Paris et du Sud de la France est plus équilibrée, il s’agit d’une image plus objective que celle de Nice et de la Corse qui paraissent, à cause de la criminalité, beaucoup plus négatifs. En ce qui concerne Monaco, la présentation est moins sérieuse qu’ironique, mais raconte plusieurs détails sur la politique. Pour conclure, on peut dire que toutes les descriptions sont assez subjectives et qu’elles montrent principalement des jugements fondés sur des expériences personnelles.

[...]


[1] Baier (e-mail du 11 mars 2003) ; Götze (e-mail du 19 mars 2003) et Engelkes (e-mail du 22 mars 2003) avouent qu’ils pourraient actualiser leurs livres ou écrire un nouveau livre. Harpprecht (e-mail du 17 mars 2003) ne veut pas relire ses livres pour savoir s’il devrait les actualiser et Schmid (e-mail du 17 mars 2003) ne se pose jamais la question s’il devrait actualiser un livre.

[2] Dans le cas où Sieburg écrit d’un sujet que je traite, je le mentionnerai. C’est le plus souvent le cas dans les chapitres de la vie politique et du peuple français.

[3] Seulement deux livres ont été publiés par des petites maisons d’édition : Frankreich de Jürg Altwegg chez Oase Verlag et Firma Frankreich de Lothar Baier chez Wagenbachs Taschenbücherei.

[4] Frankreich. Die wunderbare Illusion (2000), Und Gott schuf Paris (1995) et Vom Glück, Franzose zu sein (2001)

[5] avant-propos de Altwegg et Scholl-Latour a ; Baier c, p. 9 ; Götze a, p. 15-16 ; e-mail du 22 avril 2003 de Engelkes ; e-mail du 11 mars 2003 de Wickert, conversation téléphonique avec Scholl-Latour le 21 juillet 2003

[6] conversation avec Götze le 19 janvier 2003 ; e-mail du 11mars 2003 de Baier et Baier c, p.7

[7] Cela montrent les remarques de Sieburg et d’une journaliste américaine que les Français veulent toujours se voir confirmés quand les étrangers jugent la France (Sieburg, p. 32 ; Wickert b, p. 229).

[8] Les livres traduits en français : Du bonheur d'être français de Ulrich Wickert (le Félin, 28 février 2001), Dieu est-il encore français ? de Klaus Harpprecht (Albin Michel, 8 juin 1999), L’entreprise France, de Lothar Baier (Calmann-Lévy, 10 avril 1989), La France sous l’œil critique et fraternel d’un grand journaliste allemand de Peter Scholl-Latour (Presses de la Cité, 1989). L’exemple le plus frappant est le livre l’entreprise France de Lothar Baier : tout le chapitre « département des écrivains. Le triomphe de l’administration sur le marché littéraire » (Baier a, p. 125-139) racontant des maisons d’éditions et leur pratiques de choisir un livre pour des prix est supprimé.

[9] Götze, e-mail du 19 mars 2003

[10] Harpprecht, e-mail du 17 mars 2003

[11] Les deux livres de Lothar Baier, les trois livres de Ulrich Wickert, les livres de Peter Scholl-Latour et Heiko Engelkes, Frankreich de Jürg Altwegg et de Klaus Harpprecht Mein Frankreich. Eine schwierige Liebe. Bien que le livre Vom Glück, Franzose zu sein de Ulrich Wickert ait un style divertissant, je le classe dans le groupe des livres plus objectifs à cause de sa diversité de sujets.

[12] Mein Frankreich, eine schwierige Liebe de Klaus Harpprecht a certes tout juste trois cent pages et est proche des gros livres, mais en ce qui concerne le nombre de pages il a moins de mots comme, par exemple, il y a le cas chez Engelkes, c’est pourquoi je le classe dans le groupe avec moins de pages.

[13] e-mail de Klaus Harpprecht le 13 avril 2003

[14] Wickert (e-mail du 11 mars 2003), Schmid (e-mail du 17 mars 2003), Baier (e-mail du 11 mars 2003), Harpprecht (e-mail du 17 mars 2003), Vanderbeke (e-mail du 11mars 2003), Götze a, p. 15, Altwegg dans son avant-propos, conversation téléphonique avec Scholl-Latour le 21juillet 2003

[15] Scholl-Latour a, p. 389 ; Engelkes, p. 92 ; Harpprecht b, p.229

[16] toutes les citations suivantes se réfèrent au livre de Baier (c)

[17] Wickert expliqué que la différence consiste dans le fait qu’on pardonne au catholique des péchés tandis que le protestant doit l’assumer et le concilier avec sa conscience.

[18] e-mail du 13 avril 2003 : « Le jugement était dès le début clair pour tout le monde ».

[19] Wickert a, p. 178 ; Baier a, p. 92

[20] Jacques Vergès

[21] Scholl-Latour a, p. 201-202 ; Altwegg p. 217

[22] version originale: „sich europäisieren“ ; Harpprecht b, p. 133-134

[23] Götze le reproche au livre de Wickert Und Gott schuf Paris (FAZ, 8.10.1993) et Klaus Harpprecht à Immer Paris de Karl Heinz Götze (DIE ZEIT, 30.1.2003)

[24] Wickert : trois ans dans sa jeunesse et pendant dix ans (avec une interruption de trois ans) comme correspondent à Paris. Engelkes : de 1972 à 1983 et à partir de 1992 de nouveau à Paris. Il a pris sa retraite le 1er avril 1998.

[25] Ulrich Wickert: Und Gott schuf Paris (1995), Karl Heinz Götze: Immer Paris (2002)

[26] Il n’en donne aucune information.

[27] Wickert b, p. 260

[28] Vanderbeke, p. 44 ; voir aussi Peter Scholl-Latour a, p. 151

[29] Vanderbeke, p. 112. Dans l’e-mail du 31 janvier 2003, Birgit Vanderbeke ajoute qu’elle s’est rendu compte que le style de Peter Mayle était colonialiste, et qu’elle a l’impression qu’il se sent supérieur aux Français du Sud.

[30] Vanderbeke, p. 42, 73, 102, 138-139

[31] e-mail du 11 mars 2003

[32] Die Leute von Port Madeleine. Dorfgeschichten aus der Provence

[33] Altwegg, p. 139. Peter Scholl-Latour constate la même chose (Scholl-Latour a, p. 149, chapitre sur les Français du Sud).

[34] Wickert ne cite pas son nom

[35] Harpprecht b, p. 121-123 et 164-165 ; Scholl-Latour a: « Les confettis de l’Empire » (p. 88-99), « les héritiers de l’Empire colonial » (p. 482-516) et « perestroïka au Viêt-nam » (p. 411-135) qui n’est pas traduit dans la version française. Peter Scholl-Latour n’a pas critiqué la France dans ce chapitre et on peut par conséquent supposer que l’éditeur n’a pas jugé important de faire figurer un chapitre sur le Viêt-nam dans ce livre sur la France.

[36] Dans l’avant-propos Scholl-Latour explique qu’il a changé les noms de ses amis.

[37] voir en particulier Scholl-Latour a, 505-508

Fin de l'extrait de 104 pages

Résumé des informations

Titre
Dieu est-il encore Francais? - L’image de la France des journalistes et écrivains allemands dans leur littérature non-fictionnelle entre 1985 et 2002
Université
Université Sorbonne Nouvelle Paris III
Note
1,3
Auteur
Année
2002
Pages
104
N° de catalogue
V115626
ISBN (ebook)
9783640174751
ISBN (Livre)
9783640175031
Taille d'un fichier
864 KB
Langue
français
Mots clés
Dieu, Francais, L’image, France
Citation du texte
Sonja Breining (Auteur), 2002, Dieu est-il encore Francais? - L’image de la France des journalistes et écrivains allemands dans leur littérature non-fictionnelle entre 1985 et 2002 , Munich, GRIN Verlag, https://www.grin.com/document/115626

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